Le Covid est diabolique. Il est diabolique bien sûr car sournois et insaisissable, semant la désolation et la mort. Mais le satané virus est diabolique au sens étymologique du terme. Car étonnante origine, « dia-bolique » renvoie à ce « qui divise », « ce qui sépare ». Et autre surprise, « diabolique » est l’antonyme de « symbolique » : « fait de lier, de réunir ». Alors on en revient à cet axiome qui est plus qu’un jeu de mots facile : « covidiser » la société revient bien à la co-diviser. Car jamais nous n’avions trouvé un sujet aussi violemment clivant que celui du Covid. Aucun consensus possible ! Il rejette loin derrière lui les querelles politiques inconciliables, les débats autour du foot et autres rituelles pommes de discorde qui jusqu’ici divisaient aimablement les Français. Là, on n’est pas sur le rat des villes et le rat des champs.
Le Covid est affaire sérieuse et même vitale, et tout le monde a un avis sur le virus (son origine, les débuts de l’épidémie…), le port du masque, les frontières ouvertes ou pas, les tests, les vaccins, et surtout la gestion politique de tout cela. Covidiser la société, tel que médias et politiques le font avec un zèle obsessionnel et une jubilation refoulée aussi, co-divise incroyablement le corps social. Il y a les errements du pouvoir et de l’administration, les injonctions paradoxales et autres « éléments de langage » diffusés par les médias officiels (à écouter certains canaux officiels, « la politique vaccinale est actuellement gérée avec responsabilité, rapidité et efficacité », on est bien d’accord.. ?). Et puis il y a les chroniqueurs et essayistes qui squattent les plateaux télé et qui jettent de l’huile sur le feu, l’incendie se propageant ensuite sur les réseaux sociaux. Les télés leur laissent faire la sale besogne, gardant les mains propres et la bonne conscience pour eux.
Socialement, jamais il n’y a eu autant de disputes et d’engueulades autour du port du masque à réajuster (dans commerces et administrations), autour de la « bonne distance à respecter » et des « intérêts cachés » derrière tout cela (cf. l’hallucinant essor du complotisme), et maintenant autour de la gestion de la politique vaccinale. Le Covid nous rend à cran, car chacun a un avis autorisé sur tout cela, et on voit combien ces avis se confrontent, s’affrontent, exacerbés par la peur, déboussolés par les incessants changements de caps et de discours. Dans certaines familles et entre amis, c’est parfois « à couteaux tirés ». Le Covid est un virus politique, qui oblige à prendre parti et position. « L’infobésité » et la paranoïa sont bien mauvaises conseillères, quand on a besoin de lucidité, de discernement, de distance… A ce titre, il y a ceux qui s’informent via les médias « officiels » et puis les adeptes des réseaux sociaux, et aussi les pro et les anti-Raoult, etc.
Oui, « covidiser » la société co-divise terriblement celle-ci, depuis le tout début. On se souvient de l’exode de ceux qui ont eu les moyens de vivre des confinements champêtres et balnéaires, alors que d’autres restaient comme en détention dans une promiscuité étouffante. Et on sait bien que beaucoup « voient le salaire tomber chaque mois », quand les indépendants et petits commerçants vivent sur les réserves personnelles, les trésoreries (non insondables), les aides et subventions, salutaires mais aléatoires. Sécurité de l’emploi versus précarité des revenus, là aussi, à bas bruit, un clivage de fond se dessine. Et comment pourrait-il en être autrement ?
On voit actuellement se lever d’homériques débats autour du vaccin. La controverse se radicalise, elle va se judiciariser, alors que les politiques s’écharpent et que l’opinion s’hystérise.
La co-division de la société, c’est aussi voir un front générationnel s’ouvrir, alors que pas mal d’étudiants estiment être une classe d’âge sacrifiée pour préserver les ainés. Il se peut que tout cela laisse des traces, pour cette jeunesse en rétention et en perdition.
Il faut toujours espérer plutôt que gémir : gageons que le virus va à terme s’éteindre et plus s’étendre, et que vaccins, politiques sanitaires et responsabilité individuelle finiront par avoir raison de lui. Restera alors, pour nos politiques, à répondre de la gestion de tout cela, mais plus urgemment encore, à refaire du lien, à retisser ce qui aura été distendu, déchiré. A parvenir à refonder la citoyenneté et le sens du « vivre-ensemble », sur autre chose que sur de creux discours, des valeurs vides, sur la peur, la suspicion et la distance instituée.
Un mot, pour contrer les « passions tristes » diaboliques jetées par le Covid dans nos relations et dans la société : la « confiance », c’est-à-dire étymologiquement, la « foi partagée ». Vaste programme, qui exigera de la part de (nouveaux ?) dirigeants de trempe et de cœur de voir loin et haut, bien au dessus des obsessions virales et des clôtures sanitaires et mentales. Et cela pour réunir en confiance et fraternité une société aussi covidisée, co-divisée, qui n’aurait sinon que le choix sinistre entre les armes, ou les larmes…
Pascal Lardellier