Dans ce presque anonymat, dans ce repli de la société sur elle-même qui accompagnent le confinement, Robert Poujade et Jean-François Bazin nous ont récemment quittés à quelques jours de distance. Ces deux hommes jadis puissants et influents au plan régional, voire national pour le premier, ont marqué leur époque.
Lorsque j’ai été engagée au quotidien Les Dépêches, il ne m’a fallu pas plus de deux secondes pour voir que l’homme fort, « la » plume du journal, c’était lui. Lui, Jean-François Bazin, conseiller municipal puis adjoint RPR de Dijon, écrivain, régionaliste convaincu, fin connaisseur du vignoble. La « Une », la page noble du journal, était marquée de son empreinte avec un édito souvent percutant qui ne manquait jamais d’attirer commentaires et curiosité de tous ses autres collègues journalistes. Oui, Jean-François Bazin était – et a toujours été – un homme atypique, bousculant à la fois le monde politique – il avait commencé en 1971 sa carrière politique avec Robert Poujade, dont il fut l’un des adjoints les plus brillants et les plus dérangeants. Bousculant également la sphère journalistique – élu RPR et catholique convaincu – il exerçait son métier avec talent dans un journal de gauche, de sensibilité ex- SFIO et dotée de jeunes reporters aimant jouer les troublions !
Jean-François Bazin, fidèle à ses idées et à son très petit cercle d’amis, était homme à maintenir le cap, ou plutôt « son » cap, envers et contre tout. Non qu’il n’ait pris en compte les mutations de la société des dernières décennies du XXe siècle, mais parce qu’il ne participa jamais à la grivèlerie intellectuelle et idéologique, aux astuces complaisantes qui traversent trop souvent les cénacles politiques… Gaulliste donc, docteur en droit, européen convaincu, esprit érudit, il présida le conseil régional de Bourgogne d’avril 1993 à avril 1998 avec le caractère rude, cassant qu’on lui connaissait. Trait de caractère qui fit et fait toujours obstacle en politique!(1) En cela, je le définirai comme un homme libre, qui osait ne pas s’entraver de l’opinion d’autrui.
Autre chose à propos de Jean-François Bazin ? Au sein de la rédaction des Dépêches, nous étions quatre femmes journalistes. C’est-à-dire une infime minorité dans cet univers plutôt macho à l’époque. Or, il fut l’un des rares journalistes de notre rédaction à nous épauler, à nous mettre le pied à l’étrier dans des domaines longtemps pré-carré des hommes - dont la couverture des événements politiques. De lui, nous disions et continuons aujourd’hui de penser qu’il fut féministe avant l’heure, bien avant l’heure. A ce titre et bien d’autres d’ailleurs, c’était un homme à part, tour à tour irritant et attachant ...
Marie-France Poirier
(1) Il fut le premier adjoint de Robert Poujade de 1995 à 2001. Précisons que Jean-François Bazin fut battu aux municipales par François Rebsamen en 2001, l'année où Dijon bascula à gauche avec 52,14% des voix contre 47,86% pour la liste Bazin. Jean-François Bazin restera également dans les mémoires comme écrivain : il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, notamment dédiés à la jeunesse. Enfin, preuve de sa vaste culture éclectique, il a écrit « Le Tout Dijon », une bible qui est la pensée revisitée du Fyot.