« La peste »

En cette période de confinement et de restrictions de déplacement pour cause de pandémie, il est bon de faire des réserves de livres et de se souvenir que la littérature peut apporter des réponses à nos interrogations et remédier à nos douleurs et à nos inquiétudes.

« Robinson Crusoé », le livre magistral de Daniel Defoe, paru il y a trois cents ans peut être lu comme un manuel de survie.

« La peste » de Camus qui bat des records de ventes actuellement est aussi un manuel de dignité, un manuel de survie de l’esprit. L’auteur y répertorie les comportements de l’homme face au fléau qui peut mener à la lâcheté ou à l’héroïsme.

Certes dès l’épigraphe tiré du livre de Defoe précité, Camus nous invite, il est vrai, à assimiler l’épidémie de peste à Oran, décrite dans son roman, à plusieurs analogies : « Il est aussi raisonnable de représenter une espèce d’emprisonnement par une autre que de représenter n’importe quelle chose qui existe réellement par quelque chose qui n’existe pas ». En d’autres termes, l’épidémie de peste qui se répand dans le roman peut être assimilée d’abord à l’expansion du nazisme ( la peste brune).

Répondant à Roland Barthes, Camus ajoute : « La Peste, dont j’ai voulu qu’elle se lise sur plusieurs portées, a cependant comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme. La preuve en est que cet ennemi qui n’est pas nommé, tout le monde l’a reconnu, et dans tous les pays d’Europe. Ajoutons qu’un long passage de La Peste a été publié sous l’Occupation dans un recueil du journal Combat et que cette circonstance à elle seule justifierait la transposition que j’ai opérée. La Peste, dans un sens, est plus qu’une chronique de la résistance. Mais assurément, elle n’est pas moins. »

Dans un sens, Camus nous invite aussi à en faire une lecture secondaire. Kamel Daoud consacre au livre sa chronique  « Le postillon » dans l’hebdomadaire « Le Point » du 12 mars . « Le nouveau virus rejoue à la lettre les premiers chapitres du récit camusien » écrit-il et si Albert Camus a allégorisé la nazisme, « il anticipa puissamment sur tous les fléaux qui réduisent l’homme à la lâcheté ou à la mort et offrit le meilleur catalogue de nos comportements. Sa dissection est époustouflante de précision et se relit, inévitablement là où la Mal revient ».

Oui les livres, les grands livres, ont du pouvoir. Celui d’abord, de révéler l’homme à l’homme.

Pierre P. Suter