Yan Pei-Ming : L’odyssée d’un monde blessé

Il est des moments bénis. Ce mercredi 15 mai à jour J –2 de la réouverture du Musée des Beaux-Arts est de cette étoffe-là. Des journalistes de la presse nationale et régionale battent la semelle dans la cour d’honneur du Palais des Ducs dans l’attente de l’homme qui symbolise le mieux le renouveau de ces lieux exceptionnels. Le voilà qui arrive, silencieux et discret comme un chat : Yang Pei Ming semble avoir surgi de nulle part ailleurs. Peintre dijonnais de renommée mondiale, il est le premier invité du Musée avec l’exposition L’Homme qui pleure qu’il s’apprête à faire découvrir à la presse.

La plupart de la centaine d’œuvres exposées est inédite. Ming aime investir les toiles immenses. O surprise ! Les visiteurs « d’avant l’heure » que sont les journalistes découvriront également de petits formats. Son travail procède plus que jamais d’une dramaturgie puissante. Une dramaturgie de la rencontre douloureuse, un journal intime d’un télescopage magnifié entre drames privées et drames planétaires, une mise-en-abîme des techniques également; les couleurs privilégiées par l’artiste en témoignent- noir, gris, rouge et même un envol de bleus camaïeux dans le tableau qui clôt le parcours Ming au sein du Musée : « Mes tableaux témoignent d’aller-retours entre les drames du monde et les malheurs personnels que je n’ai pas évacués », glissera-t-il.

Comme le soulignera son ami de toujours, Franck Gautherot, directeur du Consortium, venu le rejoindre pour évoquer la signification profonde de l’ensemble des accrochages d’une salle à l’autre : « Le peintre, à travers ses grands formats qui retracent les drames du 11 novembre, de Fukushima ou du Bataclan, demande pardon pour tous les actes destructeurs commis par les hommes ». Actes, naufrages humains qui seront mis en résonance dans les tableaux de chiens hurlants, dans tout un bestiaire dénonciateur – peints avec la force inouïe de ce démiurge d’artiste qu’est Ming…

L’exposition rend également hommage à sa mère, aux Dijonnais Xavier Douroux et à Fabian Stech, récemment disparus (1).

Chaque salle du Musée dédiée à Ming ou ses accrochages au milieu d’œuvres du 17ème siècle – telles deux peintures à la manière épique du Caravage ou de Goya – proposent une narration que les visiteurs ont tout loisir de réinterpréter. En cela, ses cheminements intérieurs, ses écartèlements entre sphère privée et séquences d’actualité mondiale, ses séries d’autoportraits, ses tableaux de parents défunts offrent au public autant de passerelles, de carrefours, de rencontres.

Cet observateur désespéré de la vie, de la mort ainsi que du « survivant » nous donne à partager sa vision des failles ou des déchirures de nos existences. Tout chez lui confine à la métaphysique, à la dimension cosmique. Notamment la série de ses oiseaux ou ses 9 aquarelles réinterprétant magistralement les Pleurants des tombeaux des Ducs de Bourgogne, monuments iconiques du Musée des Beaux-Arts.

Jusqu’au 23 septembre, L’odyssée d’un monde blessé selon Ming …

Marie-France Poirier

(1) Xavier Douroux avait co-fondé avec Franck Gautherot le centre d’art contemporain du Consortium à Dijon. Fabian Stech a trouvé la mort au Bataclan. Franck Gautherot est par ailleurs commissaire de cette exposition L’Homme qui pleure de Ming.