Raphaël a vu… K.-O.

K.-O., thriller onirique de Fabrice Gobert avec Laurent Lafitte, Chiara Mastroianni, Pio Marmaï et Clotilde Hesme.

Antoine Leconte (Laurent Lafitte) est un homme de pouvoir arrogant et dominateur, tant dans son milieu professionnel que dans sa vie privée. Au terme d’une journée particulière oppressante, il est plongé dans le coma. À son réveil, plus rien n’est comme avant : Rêve ou réalité ? Complot ? Cauchemar ? Il est K.O.

Deuxième long-métrage de Fabrice Gobert, après Simon Werner a disparu (2009) qui révéla Ana Girardot, et les deux saisons des inquiétants Revenants, K.O. est un thriller onirique français réussi, sophistiqué et ultra-référencé : Henri-Georges Clouzot, David Lynch, David Fincher… ou Gobert lui-même qui reste fidèle à son univers et ses comédiens : la troublante Clotilde Hesme ou le déconcertant Jean-François Sivadier dans des rôles secondaires mais déterminants. Les comédiens sont tous parfaits dans des doubles rôles… Alors prêt(e) à un combat en sept rounds pour savoir à quel point vous êtes capable de changer et de vous remettre en cause ? C’est bien là toute la question passionnante de ce jeu de piste filmique, subtil et excitant…

ŒK.-O. commence par un combat de boxe, écho illusoire au Fight Club de David Fincher, où le héros qui n’en a pas l’étoffe est sommé d’éteindre sa cigarette par un vigile, à défaut de rendre les armes, ce que l’habileté du scénario ne tardera pas à lui imposer. Cette soirée de victoire inaugurale sera pour lui un échec cuisant en trois temps : personnel, commercial et sexuel, puisqu’il ne parviendra pas à honorer sa maîtresse d’un soir, pris d’une douleur à la poitrine annonciatrice d’un autre traumatisme bien plus grave.

Le coup de force de Fabrice Gobert est de confronter son personnage, un type abject et fier-à-bras, à un monde où il ne serait plus un symbole de réussite. Quelle va être alors sa capacité d’adaptation dans un environnement où il n’a plus toutes les clés ni tous les atouts ? Condamné par le destin à se mettre à la place des autres, Antoine perd son statut de héros négatif pour devenir quelqu’un pour qui on peut éprouver de la sympathie. C’est le coup de génie de Fabrice Gobert et de Laurent Laffite : le spectateur a de l’empathie pour un salaud ! L’interprétation du sociétaire de la Comédie française est déterminante : il joue un homme de pouvoir angoissé et arrogant, doté d’une force vitale apparemment indestructible mais qui en réalité (?) va se fissurer petit à petit de l’intérieur. Laurent Lafitte est impressionnant dans ce labyrinthe cérébral et kafkaïen. A ses côtés, Chiara Mastroianni apporte une once de douceur et de fragilité dans un monde de brutes : celui de la télévision.

Ž Ce n’est pas un hasard : le réalisateur a travaillé pour la télévision avec sa série Les Revenants. Difficile de ne pas penser à Canal + et ses évictions répétées des miss météo ou des présentateurs du feu Grand Journal. Chez Gobert, au dernier étage, des personnes dans des grands bureaux gèrent les affaires de la chaine. En bas dans la soute, les techniciens font marcher la machine télévisuelle pour que les émissions aient lieu. Entre les deux, ceux qui montrent leur tête à la télé, qui représentent la chaîne et qui un jour se font dégager… Pas fantastique comme ambiance !

Dans la seconde partie du film, Fabrice Gobert renoue avec son attirance pour le fantastique : les personnages déambulent dans une ville fantomatique, dans des espaces beaucoup trop grands pour leurs petites personnes. Le cinéaste joue avec son spectateur sans se jouer de lui dans un scénario tiré au KOrdeau avec plusieurs versants : le sociétal avec le monde du travail et sa violence, le romanesque avec la reconquête de la femme aimée et enfin cette fantastique thématique, éclairée et architecturale.

Le cinéaste fait le choix du cinémascope, autre concession au romanesque. Ce format insinue dans le cadre une idée de labyrinthe, par des décors tentant d’exister aussi dans leur largeur. Le travail sur la lumière participe également à brouiller la perception du réel : l’étrangeté vient de la scénographie et des éclairages nocturnes. Le son rompt notre perception et prolonge notre écoute au-delà du cadre. La dernière note du film lui donne d’ailleurs un éclairage particulier.

‘La bande originale de Jean-Benoît Dunckel du groupe Air nous conditionne dès le générique angoissant, dans une succession de notes entêtantes. La tension est tout de suite palpable et transmet un plaisir infini au spectateur plongé dans les abîmes de l’imagination sans fin, mais tout en finesse et subtilité, de Fabrice Gobert.

’Enfin dans le combat générationnel qui l’oppose symboliquement à Jean Dujardin, Laurent Lafitte gagne par K.O. L’acteur vient d’enchaîner quatre très bons films dans des registres différents – Boomerang, Papa ou Maman, Elle et K.-O., là où notre Artist multiplie les mauvais pains dans la gueule, à défaut d’uppercuts déterminants : Un + Une, A la hauteur, Brice et Chacun sa vie.

En sept rounds, grâce à ses acteurs, actrices, son scénario, sa lumière, ses décors, son ambiance, sa musique et sa réalisation, K.-O. gagne son pari de nous mettre knock-out !

Raphaël Moretto