Pierre Guez : « L’avenir, c’est la naturalité ! »

Etant à l’origine de l’expression « de la fourche à la fourchette », Pierre Guez, ancien directeur de Dijon Céréales, préside les pôles AgrOnov et Vitagora, qui œuvrent à l’innovation durable de l’agriculture (la fourche) et du monde agroalimentaire. Les consommateurs (la fourchette) en sont les premiers bénéficiaires. Interview d’un président visionnaire…

Dijon l’Hebdo : Vous avez fait de Vitagora une véritable référence dans le domaine de l’innovation agroalimentaire. C’était indispensable pour les entreprises du secteur ?

Pierre Guez : « Vitagora œuvre à l’alimentation durable. Nous sommes sur l’agroalimentaire avec la transformation des produits. Les entreprises de ce secteur sont, depuis des années, maltraitées parce qu’elles n’ont pas su communiquer et se sont fait attaquer parce qu’elles mettaient trop de sucre, trop de sel, trop de colorants… Aujourd’hui, nous tournons la page et l’on utilise des produits naturels. C’est la naturalité qu’il faut remettre en place dans les industries agro-alimentaires. Nous avons le moyen de le faire car nous sommes encore en Europe la première Nation au niveau de ces industries même si nous perdons des parts de marché eu égard à un certain manque de compétitivité. La grande distribution ayant cassé les marges depuis 20 ans. Les entreprises agroalimentaires qui ne sortent plus de résultats ne peuvent pas investir et ne sont pas ainsi en capacité d’innover. La Bourgogne Franche-Comté a un tissu d’industries agroalimentaires très important et le rôle de Vitagora est de les amener vers la naturalité et l’utilisation de produits naturels. Ce ne sont pas forcément que des produits bio. Nous mettons en place toutes les solutions alternatives. Nous rapprochons ainsi les produits des consommateurs qui en sont les premiers bénéficiaires ».

 

DLH : Quel message pouvez-vous adresser à celles et ceux qui fustigent actuellement le monde agricole ?

P. G : « L’avenir, comme je le disais, c’est la naturalité ! Mais, depuis 20 ans, on a diminué l’utilisation des produits phytosanitaires de 50% et toutes les matières actives dangereuses. Il n’y en a plus. Dans la décennie qui s’ouvre, on n’utilisera quasiment plus de produits phytosanitaires. Ne seront employés que des produits à base naturelle et des produits biologiques. On revient ici encore à la naturalité… »

 

DLH : Comment les deux pôles Vitagora et AgrOnov s’articulent-ils ?

P. G : « C’est grâce à Vitagora qu’AgrOnov existe parce que l’on a pu bénéficier d’une aide d’un million d’euros pour créer un technopôle agro-environnemental. Là nous sommes sur l’agriculture et l’environnement. J’ai fait cohabiter ces deux pôles puis je les ai même fait devenir complémentaires. Nous étudions et nous mettons en place toutes les technologies permettant de limiter l’utilisation du CO2 mais aussi toutes les solutions alternatives afin de trouver de nouvelles cultures durables. Nous cherchons par exemple les cultures qui remplaceront le maïs comme le sorgho afin de moins utiliser d’eau. Nous développons les légumineuses. Nous arrivons donc là sur l’agro-écologie. Ce pôle est mis à disposition du monde agricole, des agriculteurs mais aussi des start-up novatrices. Nous avons, que ce soit en amont ou en aval de la filière, une démarche vertueuse ».

 

DLH : Le projet TIGA d’alimentation durable à l’horizon 2030 de Dijon métropole va dans ce sens également…

P. G : « Il faut tout de même que soit mis en place dans le projet TIGA d’alimentation durable à l’horizon 2030 des systèmes concrets. Nous devons développer des indicateurs et je ne suis pas sûr que l’on puisse les obtenir, parce que nous sommes trop dans la théorie et pas assez dans la pratique. Sachez que sur le marché de Dijon, nous avons aujourd’hui 80% des produits de maraîchage, etc. qui proviennent de l’extérieur des territoires de la Côte-d’Or. Le maraîchage a disparu. C’est malheureux. A Auxonne, il y avait il y a 50 ans 1000 maraîchers et, aujourd’hui, ils ne sont plus qu’une dizaine. A Ruffey-lès-Echirey ou à Brétigny, leur nombre s’élevait à 30 ou 40, actuellement ils ne sont plus que 2 et ils ne produisent quasiment plus rien. A l’exception des asperges et de la salade. J’estime que, dans le dossier TIGA, où il faut aller beaucoup plus en profondeur, la réappropriation de terres agricoles est capitale, comme on l’a vu à Reggio Emilia. Il faut avoir par exemple comme objectif dans les 10 ans 350 ha de maraîchage dans un rayon de 15 km autour de la métropole. Il existe des terres de légumes, sablonneuses, avec de l’argile et où la nappe phréatique est à 1,80. Nous pouvons ainsi utiliser l’eau. Il faut également mettre l’accent sur 3 ou 4 produits. On se dit : on fait des asperges, de la carotte, de la mâche, etc. Voilà un exemple illustrant : il y a 30 ans, il n’y avait pas de mâche dans les étals des grandes surfaces en France. Le pays du Val Nantais a décidé de mettre une vraie politique en place et sa mâche a inondé l’Hexagone et a même fait de l’export. Si l’on veut que TIGA fonctionne, c’est cela qu’il faut faire ! »

 

DLH : L’objectif de 350 ha de terres dédiées au maraîchage est ambitieux…

P. G : « La difficulté est que les terres sont aujourd’hui louées. Il faudrait quasiment créer une loi pour conférer à ses terres une destination maraîchère et qu’elles soient réaffectées à ceux qui veulent s’orienter dans cette voie. Il faudra également refaire de la formation pour que dans les lycées agricoles, dans les centres d’apprentissage, on forme de futurs maraîchers. Ce serait une véritable révolution et il y a un travail phénoménal ».

 

DLH : Pensez-vous que Dijon, qui a déjà été retenue parmi les 4 finalistes avec Turin, Grenoble et Tallin, puisse s’imposer le mois prochain à Lisbonne, comme la capitale verte européenne ?

P. G : « Dijon a tous les atouts. Depuis 20 ans, Dijon s’est donnée les moyens de mettre en place une politique pour aller vers le naturel, vers l’écologie. Nous avons le plus beau tram de France. Il suffit de voir aussi le cœur de ville piétonnier, les parcours, les pelouses, le nombre d’arbres replantés, etc. La Ville qui a été entièrement refaite bénéficie d’un art de vivre exceptionnel. Je rencontre de plus en plus de gens à Paris qui ont envie de venir ou de revenir à Dijon. C’est pour cela qu’avec l’agroécologie que l’on va mettre en place, il faut créer des entreprises qui vont embaucher… »

Propos recueillis par Camille Gablo

 

AgrOnov : Un accélérateur

Le pôle d’innovation en agroécologie, AgrOnov, représente, comme l’explique le directeur Frédéric Imbert, une véritable « plus value » pour le monde agricole ainsi que pour les start-up innovantes rayonnant dans ce secteur : « Nous travaillons à l’amélioration de l’agriculture et, pour ce faire, nous mettons en connexion des mondes qui ont des difficultés pour se côtoyer : la recherche fondamentale, la formation, les agriculteurs, les entreprises. Nous sommes au service d’une agriculture innovante et responsable ». Et le directeur d’ajouter : « Nous intervenons ainsi sur les 3 piliers que sont, en Côte-d’Or, la viticulture, l’élevage et les grandes cultures ». Offrant une veille mails aussi disposant de parcelles dédiées afin d’effectuer des tests grandeur nature, AgrOnov apporte sa pierre à l’éditice d’une « agriculture de progrès ». Ce pôle offre également, par le biais d’une pépinière d’entreprises, un milieu privilégié pour les jeunes entrepreneurs. C’est un véritable accélérateur d’innovation agricole…

Vitagora : Une référence

15 ans après sa création, le pôle de compétitivité Pitagora, qui, depuis, rayonne de la Bourgogne à la Franche-Comté en passant également par l’Ile de France, représente une référence au niveau national, voire plus largement, dans l’univers de l’agroalimentaire. Forte de 550 membres, cette association professionnelle dote les entreprises des services et des outils afin de les aider dans leur croissance, de les accompagner dans leurs performances et de leur permettre d’innover dans le domaine environnemental. Autrement dit, comme le souligne ce pôle dirigé par Christophe Breuillet, de les orienter vers « une alimentation savoureuse, saine et durable » : « Tout en respectant l’environnement, nous voulons faire de l’alimentation une source de bien-être pour les mangeurs. Nous travaillons ainsi avec tous les acteurs clefs du territoire afin de favoriser les pratiques de l’agroécologie ou les démarches RSE dans les entreprises ». Quelques exemples de projets sur lesquels travaille VItagora : le développement d’alternatives végétales pour remplacer les produits d’origine animale, la création de nouvelles matières bio-sourcées, la culture de micro-algues ou d’insectes, la lutte contre le gaspillage, la réintroduction d’espèces anciennes qui résistent mieux au changement climatique…