François Rebsamen : « La sociale écologie représente l’avenir de nos villes »

Alors que le grand oral pour le titre de capitale verte européenne approche à grand pas – il aura lieu le mois prochain à Lisbonne –, le maire et président de Dijon métropole, François Rebsamen, revient sur les grandes réalisations et exposent les projets d’envergure qui ont fait que Dijon ait été retenue parmi les 4 finalistes. Dans le même temps, il ne manque pas d’exposer sa vision du progrès écologique qui ne peut, selon lui, que se conjuguer avec le progrès social et économique. Partisan de la « croissance sûre et durable », il ne manque pas d’adresser un message à Europe Ecologie-Les Verts qui « a préféré se mettre hors du champ de l’action pour être dans celui de la critique ». Et ce, même après le 2e tour des élections municipales !

Dijon l’Hebdo : Le grand oral de Lisbonne approche pour Dijon dans le cadre de la finale du concours de la capitale verte européenne. Dijon a déjà été retenue parmi les 4 finalistes (aux côtés de Turin, Grenoble et Tallin). C’est, j’imagine pour vous, une véritable reconnaissance du tournant durable et écologique (notamment des investissements en la matière) pris par la capitale régionale depuis 2001 ?

François Rebsamen : « Cela a permis un véritable retour sur tout ce que nous avons accompli en effet depuis 2001. Nous avons commencé par la construction d’une station d’épuration pour 60 millions d’euros qui a permis de dépolluer l’Ouche en aval, comme c’était malheureusement le cas auparavant. Cela s’est poursuivi concomitamment par la transformation de ce qui n’était qu’un pôle destiné à brûler des déchets en un vrai centre industriel d’incinération avec valorisation de la chaleur par l’intermédiaire d’un turboalternateur de 6 mégawatts. Celui-ci a, au demeurant, été construit au Creusot. Nous avons au fil du temps multiplié sa puissance, si bien que nous produisons de l’électricité verte. Je voudrais à cette occasion rendre hommage au directeur de notre Pôle environnement Philippe Roumilhac, qui, par ses orientations, ses choix et ses propositions, a réussi cette mutation. Il nous a fait gagner beaucoup d’argent. Nous avons aussi mené une réflexion sur l’eau, avec la nécessité de lutter contre les fuites afin d’atteindre un niveau de sûreté du réseau. Je veux aussi évoquer la mise en place d’un réseau de transport public qui garantit la limitation de l’utilisation de la voiture par l’avènement du tramway. En complément, il y a eu la piétonnisation du centre-ville avec l’idée que les voitures, et surtout les grosses voitures, n’avaient plus de place dans le cœur de ville. La vie dans le centre-ville, où l’on peut désormais flâner en faisant ses courses, est ainsi tournée vers le bien-être et l’activité commerciale. Tout cela participe de l’idée que je me fais de l’écologie ».

 

DLH : Alors qu’il était marginal à l’origine, desservant seulement quelques îlots urbains, pourquoi avoir souhaité agrandir le réseau de chaleur urbain qui, à terme, sera de plus de 120 km ?

F. R : « Nous avons agrandi le réseau de chaleur urbain et l’avons alimenté, il ne faut pas l’oublier, grâce à des chaudières biomasse que nous avons aussi créées. Ce réseau qui est aujourd’hui le 4e de France desservira en 2023 55 000 logements, soit plus d’un logement sur deux – Dijon compte en effet 90 000 logements. Cela limite le rejet de CO2 dans l’air, les chaudières à fioul de l’Université ou encore du CHU ayant été supprimées. Tout ceci a conduit à un air pur à Dijon, avec moins de particules fines. C’est un élément très important qui participe aussi à la réduction des factures énergétiques des habitants connectés, si bien que l’on travaille ici à l’augmentation du pouvoir d’achat des Dijonnais ».

 

DLH : Est-ce la condition sine qua non pour que tout le monde se sente concerné par l’écologie et le développement durable ?

F. R : « Je reste persuadé que le meilleur moyen de convaincre les gens de prendre en compte l’écologie urbaine comme une absolue nécessité est de leur montrer que cela leur apporte du pouvoir d’achat ».

 

DLH : Dijon a également renoué avec ses racines vineuses en replantant des vignes…

F. R : « Il y a la volonté de reconquête d’un espace qui, à l’origine, était destiné à l’urbanisation et qui, aujourd’hui, nous sert d’expérimentation avec la replantation de vignes mais aussi, à terme, de légumineuses. Nous avons été retenus Territoire d’innovation et de grande ambition (TIGA) avec le projet alimentaire durable à l’horizon 2030. Un autre point sur lequel je souhaite insister et qui est étroitement lié : la part du vrai bio dans la restauration scolaire atteint 35 % aujourd’hui à Dijon, où nous avons souhaité le maintien en régie de cette restauration ».

 

DLH : Le fait que le projet H2020 et ses innovations énergétiques, retenus par la commission européenne, concernent un quartier Politique de la Ville – la Fontaine d’Ouche – était-il à vos yeux essentiel ?

F. R : « Oui. Transformer 377 logements ainsi que tout l’espace public représente un vrai challenge. Nous avons les crédits européens et nous mettons aussi beaucoup de crédits municipaux. Cela traduit véritablement notre volonté. Notre projet H2020 est certes très contraignant mais il affiche une belle ambition : rendre plusieurs bâtiments d’un quartier Politique de la Ville à énergie positive. Toutes les réalisations que j’ai citées et tous ces projets d’envergure nous amènent naturellement à avoir une candidature très crédible pour que Dijon soit élue capitale verte européenne, dans une compétition de plus en plus acharnée ».

 

DLH : Avoir fait le choix de ce projet énergétique d’avenir dans un des quartiers Politique de la Ville, n’est-ce pas une réponse, en substance, à vos détracteurs qui ont estimé que vous laissiez ces quartiers en jachères ?

F. R : « C’est certain. Ceux qui disent cela ne font pas des gros scores dans ces quartiers ! »

 

DLH : Jamais aucune agglomération n’a encore, dans l’Hexagone, programmé un projet hydrogène de la dimension de celui que vous avez présenté. Pouvez-vous nous détailler l’état d’avancement de ce projet vertueux ?

F. R : « Il s’agit de la création d’une société avec une entreprise privée, Rougeot, qui sera présidée par Philippe Berthaut (ndlr : ancien directeur général des services). Nous pouvons transformer notre électricité verte en hydrogène. Nous avons lancé l’acquisition d’un électrolyseur et nous allons essayer d’en avoir un second. Nous avons installé cela sur un terrain municipal et nous nous sommes aussi lancés dans l’acquisition de 9 bennes à ordures ménagères et de 27 bus qui pourront fonctionner à l’hydrogène. Les crédits ont d’ores et déjà votés à la métropole. Nous essayons pour le moment d’attirer d’autres collectivités qui souhaiteraient aussi acheter le même type de véhicules adaptés. Cela nous permettrait, comme pour le tramway, d’effectuer un groupement de commandes susceptible de faire baisser le coût de ces engins. Je travaille actuellement ce dossier avec mon homologue de Brest. Le problème est de trouver aujourd’hui des fournisseurs. Nous voulons, une chose est sûre, être les premiers et nous nous inscrivons, par là-même, dans le Plan de relance du gouvernement. Je crois, pour ma part, véritablement en l’hydrogène ! »

 

DLH : Vous répétez régulièrement que le plus grand défi du XXIe est d’ « d’inventer la ville durable ainsi qu’un nouveau modèle de croissance, conciliant progrès social, progrès économique et lutte contre le réchauffement climatique ». Vous n’êtes ainsi pas un partisan de la décroissance afin d’œuvrer à la sauvegarde de la planète ?

F. R : « Non, c’est un débat que je souhaite avoir avec nos amis écologistes. Et j’ai du mal à l’avoir parce que, pour le moment, tout le monde crie « Union Union » – pas à Dijon certes – sans qu’il n’y ait de confrontation d’idées, dans le bon sens du terme. Qu’est-ce qu’une croissance sûre ? C’est celle qui allie le progrès social, le progrès économique et le progrès environnemental ! Faut-il refuser l’intelligence artificielle, refuser la 5G, le progrès dans le domaine de la santé ? Ma position, c’est qu’il faut que ce progrès serve à améliorer la vie des gens de manière durable et sans nuire à l’environnement. J’aimerais véritablement avoir ce débat avec nos amis écologistes qui ne veulent plus de construction pour certains ? Comment fait-on si l’on ne construit plus . Et ce, même si, en matière de construction, on ne s’étale pas, parce que je suis contre l’étalement urbain. C’est un vrai débat à avoir. Je n’ai pas eu d’éléments de réponse. J’en ai eu pendant 20 ans. Nous avons fait des choses ensemble et il semblerait qu’il y ait un tournant aujourd’hui laissant à penser que, dans nos villes, la lutte contre le réchauffement climatique passerait par le fait de planter quelques arbres supplémentaires – je signale en passant que nous en avons planté 5000 – et de mettre des pistes cyclables. Ils confondent à mon avis s’adapter au réchauffement climatique et lutter contre ce même réchauffement ! S’adapter, tout le monde va être évidemment obligé de le faire. Oui, nous allons faire des îlots de fraicheur, mais sait-on déjà qu’il y a des murs végétalisés à Dijon par exemple ? A l’arrière de l’Hôtel d’Esterno ou rue du Gymnase, les murs sont végétalisés et personne n’en parle. Cela ne lutte pas contre le réchauffement climatique, en revanche les grands projets que j’évoquais précédemment, quant à eux, le font ! »

 

DLH : Vous avez également instauré un coefficient de biotope dans le PLUI-HD (Plan local d’urbanisme intercommunal – habitat-déplacements) afin de renforcer la présence de la nature sur le territoire…

F. R : « J’ai aussi été le premier à travers le SCOT (Schéma de cohérence territorial) à prôner la fin de l’urbanisation des bonnes terres agricoles, en supprimant toutes les gravières qui apparaissaient ici ou là. Cela m’a valu une renommée assez destructrice chez certains. J’ai aussi pris en considération un état de fait sur les Lentillères. Il n’y aura pas d’artificialisation des sols par la construction de bâtiments ».

 

DLH : Vous avez placé votre 4e mandat sous le triptyque d’une ville « écologique, sociale et attractive ». Comment réussirez-vous à conjuguer réellement ces 3 pans ?

F. R : « Si ce n’est pas lié, cela ne marchera pas auprès des milieux populaires. Il ne suffit pas de dire qu’il faut manger 5 fruits et légumes par jour lorsque l’on n’a pas de quoi s’acheter des fruits et que la principale considération est de pouvoir finir le mois. Il faut que les gens voient qu’à travers l’écologie mise en place, c’est aussi de la santé en plus, par la qualité de l’air, pour leurs enfants, etc. mais c’est aussi du pouvoir d’achat à terme. C’est le but que l’on poursuit en donnant d’ailleurs aussi à tous accès à un logement, ce qui n’était pas une chose certaine précédemment… »

 

DLH : Depuis la crise sanitaire et encore plus depuis le déconfinement, les modes de transport doux, et notamment le vélo dont les ventes sont exponentielles, ont le vent en poupe. La métropole a accordé 1M€ pour accélérer le développement du cyclable. Etait-ce là le lancement de l’acte II du plan Vélo ?

F. R : « Oui et j’ai même doublé en précisant l’inscription de 2 millions d’euros. Ce n’est pas rien ! J’ai souligné qu’il fallait les consommer le plus vite possible. Pour que cela soit bien fait, nous avons recruté un Monsieur Vélo. Il nous fera un plan pour consommer cette somme de manière intelligente. Nous allons commencer tout de suite par rendre accessible aux vélos la place du 8 Mai, c’est à dire la liaison entre Saint-Apollinaire et le centre-ville de Dijon. C’est un point noir pour le moment et ce Monsieur Vélo nous fera des propositions cohérentes et pertinentes. Une autre liaison à travailler est celle entre Chevigny-Saint-Sauveur et Quetigny, afin d’améliorer la desserte du tramway. Beaucoup de Chevignois se rendent aujourd’hui à vélo à Quetigny pour prendre le tram. Ce sont deux axes vélo sur lesquels il faut avancer rapidement ! »

 

DLH : La crise sanitaire qui perdure a, de facto, des répercussions sur les budgets des collectivités. Pourrez-vous, malgré cette situation, maintenir l’ensemble de vos projets, notamment environnementaux, ou devrez-vous en repousser certains ?

F. R : « Le Plan de relance du gouvernement a un manque. Il ne prend pas en compte les collectivités locales. Je suis surpris de cela alors que c’est l’argent des collectivités locales qui assure aujourd’hui une partie de ce Plan. A hauteur tout de même 3,5 milliards d’euros ! Les collectivités locales participent par des ponctions qui leur sont faites sur leurs propres recettes au financement de ce Plan. Aussi j’aurais souhaité que le gouvernement s’appuie sur nous. Or, pour le moment, nous sommes les grands oubliés. Nous allons réagir et nous dirons au gouvernement : ne nous oubliez pas ! »

 

DLH : Si bien que, pour l’instant, il est trop tôt pour se prononcer sur le financement de certains grands projets ?

F. R. : « Il faut que l’on ait en effet la certitude qu’il n’y aura pas de changement dans la doctrine gouvernementale susceptible de mettre à mal des investissements de cette importance. Pour le moment, je préfère avoir une certitude, parce qu’à chaque fois qu’il y a un nouveau ministre de l’Ecologie – ceux-ci se succèdent au demeurant à vitesse grand V ! – il vient, avec dans sa poche, par exemple une réforme des déchets plastiques. On l’a vu avec Brune Poirson… et c’était particulièrement pénalisant ».

 

DLH : Pendant que d’autres villes (et pas n’importe lesquelles) basculaient dans l’escarcelle d’Europe Ecologie – Les Verts, vous faites partie des rares maires socialistes sortants à avoir été réélus alors même que les écologistes décidaient de se désolidariser et de se présenter contre vous. Certes Dijon a montré qu’elle était Rebsaménienne avant tout, mais les habitants dijonnais ne vous ont-ils pas aussi donné un satisfecit sur le tournant écologique et durable accompli ?

F. R : « Tout le monde le sait, je n’ai pas besoin de le répéter. Je suis socialiste. Beaucoup des maires qui se sont présentés ne l’ont d’ailleurs pas dit. Mais je suis aussi un maire écologiste. Je pense que la sociale-écologie représente l’avenir de nos villes. Dans le cadre des primaires qu’il y a eu entre les verts et le parti socialiste, partout à une exception près, Poitiers, les socialistes étaient devant les Verts. Là où les socialistes ne se représentaient pas, ce sont les verts qui étaient têtes de liste. Cela a été le cas à Besançon, à Bordeaux ou encore à Lyon. Je n’ai pas voulu, pour ma part, faire d’accord de 2e tour, parce que j’avais proposé de faire un accord de 1er tour. Ils avaient refusé celui-ci. Mais sachez aussi que j’ai proposé aux verts qu’ils aient après le 2e tour des postes en responsabilité alors qu’ils avaient le même nombre d’élus que la dernière fois (6 élus) ».

 

DLH : Vous dites que vous avez proposé à EE-LV de revenir dans l’exécutif après le 2e tour ?

F. R : « Je leur ai en effet offert après les élections municipales de retourner dans l’exécutif. Je leur ai proposé 2 postes d’adjoints à Dijon, 2 postes de vice-présidents à la métropole. Ils ont à nouveau refusé cette proposition. Ils ont choisi le confort du verbe, c’est-à-dire le « y’a qu’à, faut qu’on », à la place de l’inconfort de la gestion ! J’ai constaté qu’il se mettaient d’eux-mêmes hors du champ de l’action pour être dans celui de la critique. Je le regrette car nous avions bien travaillé ensemble jusqu’à présent mais les écologistes radicaux ont visiblement dû l’emporter sur leurs collègues prêts à travailler ».

 

DLH : Il vous reste tout de même dans votre exécutif l’un des écologistes historiques de Dijon, même s’il n’appartient plus à EE-LV, Jean-Patrick Masson, qui vous accompagne depuis 2001…

F. R. : « Il reste Jean-Patrick Masson qui est, vous avez raison, un écologiste historique et nous en avons gagné un nouveau, Philippe Lemanceau, et c’est un écologiste de la croissance sûre et durable. Tout comme moi ! »

Propos recueillis par Camille Gablo

Crédit photo : Mairie de Dijon