Il y a eu les ballets roses (avec des donzelles), les ballets bleus (avec des petits jeunes gens et des maîtres nageurs baraqués), les ballets verts (avec des animaux, des écologistes craspects et des gardes forestiers). Selon Jean-Pierre Mocky, il y aurait surtout maintenant « Les Ballets Ecarlates », avec des mioches du cours élémentaire jusqu’aux petites classes de collège. On l’aura compris, le cinéaste s’attaque, dans ce film de 2005, au spectre hideux de la pédophilie. Hélas, il n’est pas le seul. Depuis que, à partir des années 1990, les faits divers les plus sordides ont défrayé la chronique, séquestrations, infanticides, viols, incestes sur des bambins sont désormais le lot commun de bien des films sur l’enfance. Et la figure du pédophile remplace celle du monstre qui hantait jadis les films catastrophes, les films fantastiques et « La Nuit du chasseur ».
Et cela finit par devenir lassant. Car la plupart de ces films donnent le sentiment de surfer sur une mode, d’exploiter un filon, et parfois d’étaler avec une certaine complaisance ce qu’ils prétendent dénoncer – comme dans cette dramatique télé canadienne, dont je préfère ne pas citer le titre, où la caméra s’attarde longuement sur les fessiers de garçonnets, nus sous les douches d’un orphelinat sadique et bien évidemment religieux.
Or donc, en 2005, Jean-Pierre Mocky s’enrôle dans la croisade anti-pédophile, ce qui est un peu étonnant vu l’ambiguïté de certains de ses films antérieurs où la petite fille semblait parfois constituer un objet d’attirance quasiment légitime. Mais, au début du XXIe siècle, le vent a tourné et, cherchant désespérément un sujet bien racoleur et putassier, Mocky prétend être le seul (!) à faire œuvre de salubrité publique en dénonçant le scandale des ballets écarlates (pourquoi écarlates, d’ailleurs ? On ne le saura jamais…) pratiqués par des notables aussi vicelards qu’intouchables. Sans l’ombre d’un soupçon d’imagination, Mocky reprend de la sorte le cliché sadien complètement éculé (ne rajoutez pas une lettre !) des gros bonnets pervers protégés par l’ordre social et les institutions. Il ne lui vient même pas à l’idée que le pédophile honni pourrait être un gentil étudiant anarchiste ou un jeune coach sportif cool, dynamique et même séduisant pour les femmes – comme dans « Mysterious skin » de Gregg Araki.
Non, les amateurs de chair fraîche selon Mocky se présentent comme des personnes d’âge mûr (blet, même) avec des tronches pas possibles, presque couperosées, suintantes de sueur salace, arborant des sourires tellement visqueux et lubriques qu’ils inquiéteraient la plus endurcie des péripatéticiennes. Sans aucun sens du ridicule, ils appellent presque tout le monde « mon petit ange », depuis leur secrétaire – sur laquelle ils n’ont aucune visée – jusqu’aux gamins et gamines – sur lesquels ils ont de grosses visées. Les acteurs qui les incarnent parlent et jouent faux, avec des expressions libidineuses si caricaturales qu’on ne croit pas un instant à leur rôle, et des intonations affectées et artificielles : cela ressemblerait à du Bresson ânonné par de mauvais clowns.
Parmi la fine équipe de nos notables pervers et provinciaux, associés pour leurs menus plaisirs, on trouve un magistrat (comme chez Sade, dans « Les Cent vingt journées de Sodome »), un candidat à des élections locales, le gérant d’un club de tir (où vont défourailler flicards, chasseurs, gros commerçants et autres salopes), une bourge tellement moche qu’elle ne peut s’assouvir qu’en tripotant des élèves de la petite classe, un photographe professionnel (car on sait que tous les photographes n’ont qu’un objectif : foutre à poil leurs modèles de 7 à 77 ans).
Ces braves gens organisent des « soirées sordides » dans une grande baraque isolée présentée abusivement comme un château (mais tout est cheap dans ce film). Ils ont des sbires pour les aider : une ancienne institutrice (jusqu’où la pédagogie ne mène-t-elle pas ?) qui « prépare » les petits sujets et leur sert des rafraîchissements ; un homme de main, ex-tueur à gages en manque de contrats, pour qui les temps sont devenus difficiles (« Je ne peux tout de même pas aller pointer à l’ANPE ») ; sans oublier leur rabatteur, genre maquereau, plus voyant qu’un proxénète à Abidjan, mais en version blanche, et avec une décapotable grosse comme le compte en banque de Tom Cruise.
Hélas pour eux, un blondinet recruté pour la première fois trouve l’atmosphère de la soirée plutôt glauque, il réussit à s’enfuir à temps, trouve refuge chez une maman qui habite, heureux hasard, pas très loin et qui a elle-même perdu un fils, vraisemblablement enlevé et tué par des pédophiles quelques années plus tôt. Aidés par un armurier honnête (comme ça, les gentils pourront flinguer plus facilement), ils finiront par mettre un terme aux activités du réseau. Mais il en reste tant d’autres – gniark, gniark !
Références : « Les Ballets Ecarlates », France, 2005
Edité en DVD chez Pathé Distribution