Chambre 212, comédie d’auteur française de Christophe Honoré, avec Chiara Mastroianni, Vincent Lacoste, Camille Cottin et Benjamin Biolay.
Après 20 ans de mariage, Maria (Chiara Mastroianni solaire comme jamais), professeure en histoire du droit, décide de quitter le domicile conjugal. Une nuit, elle part s’installer dans la chambre 212 de l’hôtel d’en face. De là, Maria a une vue plongeante sur son appartement, son mari Richard (Benjamin Biolay, drôle et poignant en short et en chaussettes), son mariage. Elle se demande si elle a pris la bonne décision. Sa réflexion est très vite perturbée par l’arrivée de Richard à l’âge de 25 ans (Vincent Lacoste), et celle d’Irène (touchante Camille Cottin) professeure de piano et amour de jeunesse que Richard a connu avant d’épouser Maria.
La grande force du cinéma français est d’être très multiple, dans ses formes de production comme dans ses identités. Dans une salle pas très loin d’où l’on projette Chambre 212, renvoi à l’article 212 du code civil «Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance », libre à nous d’aller voir le dernier Géraldine Nakache « J’irai où tu iras ». Une référence beaucoup plus populaire à la chanson de l’iconique Céline Dion, dont les 55 000 billets pour le festival des Vieilles Charrues 2020 se sont vendus en moins de dix minutes !
Grâce à son sens du rythme et du dialogue, la justesse et la générosité de Leïla Bekhti et Patrick Timsit qui l’entourent, « J’irai où tu iras », une histoire de famille et de ses non-dits, est une réussite de la jeune Nakache. Elle n’a recours pour cela à aucune audace visuelle ou scénaristique, contrairement à son aîné de dix ans, Christophe Honoré, qui fut d’abord romancier (« Tout contre Léo », « L’infamille », « La Douceur ») puis dramaturge, et qui ne se contente jamais au cinéma de simplement raconter une histoire.
Qui peut encore continuer à faire du cinéma d’auteur pour adulte à l’heure des séries et des plateformes de streaming ? Les spectateurs des salles du septième art vieillissent, et comme le constate lui-même Christophe Honoré, « quels films d’auteur ont fait plus de 800 000 entrées ces quatre dernières années », excepté « 120 battements par minute » de Romain Campillo qui est aussi un film de société ? Le cinéaste qui a débuté avec « 17 fois Cécile Cassard » a la chance de pouvoir compter sur la fidélité de son public et de ses acteurs. Seul « Métamorphoses » (2014), où il travaillait avec des comédiens amateurs en questionnant l’héritage méditerranéen, fut un échec.
Don Juan féminin
Parce qu’il ne souhaite ni faire des séries (tel Eric Rochant), ni faire des polars (comme Desplechin), Christophe Honoré continue de creuser son sillon original et personnel, Chambre 212 étant presque un manifeste de ce point de vue-là. En effet, le réalisateur croit au plaisir partagé du cinéma : « J’intègre un motif magique qui me permet d’établir avec le spectateur une espèce de pacte de plaisir, en lui promettant que le film va se réinventer au cours de sa projection et lui réserver énormément de surprises de l’ordre de la séduction. »
Honoré réussit à réinventer la comédie de boulevard, dans une mise en scène théâtrale qui rappelle aussi bien Alain Resnais que Bertrand Blier. Dès l’ouverture, Maria sort à moitié nue de derrière un rideau pour interrompre une discussion entre son jeune étudiant et amant Asdrubal et sa petite amie. Maria marche ensuite radieuse dans la rue, se retournant sur de jeunes hommes séduisants qui semblent lui sourire au ralenti. Sa soif de séduction se dévoile d’emblée au grand jour, alors que Charles Aznavour nous chante « Désormais ». Le cinéaste invitera, pour célébrer la liberté et la beauté de son personnage, Charles Aznavour à trois reprises, Jean Ferrat et Aragon « Nous dormirons ensemble », ou encore The Rapture lors du générique final.
Le front soucieux et les fossettes malicieuses de Chiara Mastroianni ne cessent d’illuminer le cinéma d’auteur en général, et celui de Christophe Honoré en particulier. Grâce à Chambre 212, son sixième film avec le réalisateur des « Chansons d’amour », elle a gagné le prix d’interprétation décerné par le jury d’ « Un certain regard » au dernier Festival de Cannes. Les autres comédiens de ce vaudeville existentiel et pop sont à la hauteur de ce Don Juan féminin : Vincent Lacoste, amusé que son double Benjamin Biolay ne le reconnaisse pas, mais aussi Camille Cottin, à la fois drôle et émouvante.
Chambre 212 est une variation magique sur le Même T’Aime, pour paraphraser Gainsbourg. Variation vibrante sur l’amour, la nostalgie et le temps qui passe.
A voir également : « J’irai où tu iras » de et avec Géraldine Nakache, avec aussi Leïla Bekhti, Patrick Timsit et Pascale Arbillot.