Comédie dramatique franco-belge et féministe d’Agnès Varda avec Thérèse Liotard, Valérie Mairesse et le petit Mathieu Demy.
Paris, en 1962. Pauline (Valérie Mairesse), une jeune femme de 17 ans, chante dans une chorale et caresse secrètement l’espoir de devenir chanteuse yé-yé. Suzanne (Thérèse Liotard), sa meilleure amie, enceinte pour la troisième fois, se désespère de la mort brutale de son petit ami. Pauline aide Suzanne à avorter. Dix ans plus tard, les deux amies se retrouvent avec émotion. Suzanne milite depuis quelque temps au planning familial tandis que Pauline, qui se fait appeler Pomme, s’ennuie auprès de Darius (Ali Raffi), l’homme qu’elle aime, mais dont elle finit par se séparer. En 1976, Suzanne, mariée, retrouve à nouveau Pauline, devenue chanteuse du groupe «Orchidée»… L’une chante, l’autre pas raconte l’histoire d’amitié indéfectible de ces deux femmes sur près de 15 ans. On y rit, on y pleure, on y chante !
Pour cette dernière chronique avant la canicule annoncée, rendons hommage à une immense photographe, plasticienne et cinéaste, et à l’une des rares réalisatrices de la Nouvelle Vague truffaldo-godardienne : Agnès Varda, dont le dernier film Visages villages, avec Jean-Luc Godard himself, a été coréalisé par le photographe JR.
Le cinéma Eldorado a en effet l’excellente idée de programmer dès le 4 juillet en version restaurée le treizième long-métrage de notre funambulesque Agnès, L’une chante, l’autre pas. Mais pourquoi aller revoir ce film plus de quarante ans après sa sortie plutôt que de se précipiter sur un récent nanar estival ?
❶ Pour l’engagement courageux et éclairé d’Agnès Varda. La cinéaste avait signé Le manifeste des 343, pétition parue le 5 avril 1971 en une du Nouvel Observateur : la liste des 343 Françaises qui ont eu le courage de signer le manifeste « Je me suis fait avorter », s’exposant ainsi à l’époque à des poursuites pénales pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement, l’avortement en France étant alors illégal. Cet appel pour la dépénalisation et la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse ouvra la voie à l’adoption de la loi Veil. Le film fut tourné un an après cette avancée. Il ressort en salle trois jours après la panthéonisation de Simone Veil, et un mois après le vote de la légalisation de l’avortement par les députés argentins. L’une chante, l’autre pas est donc, malgré son folklore « pattes d’eph », d’une grande actualité.
❷ Pour l’étonnant générique de début, réalisé à partir de photos en noir et blanc de « femmes qui renoncent à plaire », dans leur vérité nue ou pas. On retrouvera parmi ces femmes, belles sans le vouloir, les héroïnes du film.
❸ Pour le style inimitable d’Agnès : faussement ordinaire comme un documentaire, mais en fait insolent, explosif, mélodramatique, drôle et exaltant comme une belle bleue : la vie intense, quoi !
❹ Pour le bonheur de retrouver la trop rare Thérèse Liotard, fameuse copine de Viens chez moi, j’habite chez une copine (1981) de Patrice Leconte, Tracey dans La mort en direct (1980) de Bertrand Tavernier ou la tante Rose de La gloire de mon père (1990) d’Yves Robert. Son étonnante fragilité tranche avec la gouaille de sa camarade de balade, à travers les sixties et seventies.
❺ Pour (ou contre ?) une époque rétrograde heureusement révolue et pour les réparties de Valérie Mairesse, actrice qui n’avait pas encore connue son heure de gloire : celle-ci viendra avec les comédies populaires des années 80, notamment Le coup du parapluie et Banzai. « Pour les filles qui ne font pas d’études, il n’y a que le mariage ou la prostitution » affirme le père, Francis Lemaire, le Lucien de L’Hôtel de la plage, en lisant son journal tandis que sa femme résignée met le couvert. « C’est un peu pareil, répond Pomme, outrageusement juvénile.
❻ Pour l’épisode kitch en Iran, d’une très grande beauté visuelle, avec le rouge des mosquées en technicolor sur le jour qui se lève : « Un voyage exotique où la passion est en danger ».
❼ Enfin pour la musique de François Wertheimer (qui joue également dans L’une chante, l’autre pas), camarade de lycée de Jean-Michel Jarre avec qui il commence la musique à Vanves. En 1973, il écrit pour Barbara tous les textes de son album La Louve, notamment l’exceptionnel « Marienbad ». Il est l’homme en habit rouge dont Barbara a interprété la chanson du même nom. « Je préfère chanter dans la rue plutôt que d’être normale » revendique Pomme dans le film. La normalité, tout comme Varda, Wertheimer ne la revendique pas.
Varda revendique pour les femmes la liberté de choisir, d’où ce le titre : chanter ou pas, avorter ou pas, avoir des enfants ou pas. Elle parvient à travers cette chronique douce amère à retracer des années de luttes des femmes. Celles-ci n’auront pas été vaines. Bel été à toutes (et à tous).
Raphaël Moretto