Dijon l’Hebdo : Quel message fort souhaitez-vous passer au cours de la conférence que vous allez donner ce jeudi à Dijon ?
Alain Graesel : « Je souhaite exprimer ce qu’est la franc maçonnerie d’aujourd’hui qui se compose en France d’une grande variété d’obédiences. La Grande Loge de France occupe une position spécifique. C’est une obédience symboliste qui travaille sur des questions d’ordre éthique et humaniste. Nous affirmons un certain nombre de valeurs : respect de l’être humain, respect de la dignité des personnes quelque soit leurs origines. Ces valeurs, nous voulons qu’elles soient respectées par tous. Il y a également une dimension de recherche spirituelle parce que nous considérons que le sens de la vie de chacun, à la fois sur le plan individuel et collectif, ne peut pas se résoudre uniquement au matérialisme ambiant, économiste, politique et technologique de notre époque. C’est une démarche de recherche mais aussi de réflexion-action dans la mesure où nous invitons les frères de la Grande Loge de France à aller poursuivre au dehors -j’utilise une formule d’un rituel- l’oeuvre commencée dans le Temple. »
DLH : En peu de temps, Dijon aura accueilli trois hauts dignitaires d’obédiences différentes. Hasard du calendrier ou réelle volonté de recrutement ?
A. G : « C’est un pur hasard. La date de ma conférence a été fixée il y a environ six mois et il n’y a eu aucune concertation entre nous. Par ailleurs, ce n’est pas une démarche de recrutement dans le genre « on vous explique comment adhérer, signez ». C’est une démarche de sensibilisation. On explique comment on fonctionne et si des gens s’y intéressent, ils adhèrent éventuellement. On ne rentre jamais en maçonnerie en marche arrière ou l’épée dans les reins. Nous considérons qu’il est intéressant que des maçons parlent à des profanes.
DLH : « Que font les francs maçons de la Grande Loge de France quand ils se réunissent en loge ?
A. G : « Nous travaillons sur un certain nombre de thèmes qui nous intéressent, notamment un thème autour de la construction de soi et de ce que l’on pourrait appeler le processus d’humanisation. L’humanisation, c’est la capacité de déterminer volontairement un certain nombre de valeurs, de réfléchir à ces valeurs et de leur mise en œuvre et de leur diffusion dans le social. Ce qui est différent du processus d’hominisation que les darwiniens définissent comme un processus mécanique et inconscient qui vise simplement à la meilleure adaptation possible du vivant par rapport à son environnement. Et l’homme a finalement réussi à s’adapter pas trop mal dans l’histoire du monde. Un certain nombre d’espèces qui était autrefois contemporaine de l’homme ont disparu alors que l’être humain est toujours présent.
Il y a aussi une recherche de construction du sens de la vie à la fois sur le plan individuel et sur le plan collectif. L’être humain est un animal éminemment social et lorsqu’il se construit, il ne le fait jamais seul. »
DLH : Comment un Franc maçon peut-il espérer « peser » sur la société ?
A. G : « Je dis fréquemment que la Grande Loge de France n’est pas un parti politique et que, par conséquent, nous ne pouvons pas nous substituer aux politiques. Nous n’avons aucun mandat de représentation politique. L’adhésion volontaire à la Grande Loge de France ne signifie en aucun cas l’entrée dans un parti dont la vocation est la prise de pouvoir, au sens démocratique du terme. J’ai moi-même des convictions politiques et je ne suis pas obligé de passer par la Grande Loge de France pour les exprimer.
En revanche, dans le cadre des réflexions qui sont les nôtres, nous produisons régulièrement un certain nombre de travaux qui peuvent être envoyés à l’Assemblée nationale, au Sénat, dans les ministères… Nous sommes des forces de proposition, des porteurs d’idées mais nous n’avons pas de rôle exécutif. Le franc maçon de la Grande Loge de France agit par sa réflexion. »
DLH : En mars dernier, Philippe Charuel, le Grand Maître de la Grande Loge de France, a publiquement rendu hommage au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, frère de la Grande Loge de France, décédé dans l’attaque terroriste de Trèbes. Pourquoi avoir dévoilé son appartenance maçonnique qui relève pourtant du secret ?
A. G : « Seul le Grand Maître de la Grande Loge de France est en mesure de répondre. Je ne suis pas en mesure de me substituer à lui pour le faire. Je me suis élevé, pour ma part, sur facebook, contre la récupération maçonnique de l’action du colonel Beltrame parce que ce dernier a d’abord agi en tant que citoyen, en tant que militaire exceptionnel dévoué au service de la République. Son appartenance maçonnique ou religieuse -car sa religion a également été évoquée- n’arrive qu’en second plan. Je sais bien sûr qu’il était membre d’une loge de la Grande Loge de France mais je me refuse personnellement à considérer que s’il a agi ainsi c’est d’abord parce qu’il était maçon. »
DLH : Que pensez-vous du «code éthique» imposé en Italie par les deux partis politiques désormais au pouvoir, la Ligue et le Mouvement Cinq Etoiles, qui interdit aux francs maçons d’être dans le gouvernement ?
A. G : « La maçonnerie en Italie est très, très différente de la maçonnerie en France qui, quelque soit les obédiences, est inscrite dans les principes républicains. Du reste, le triptyque qui figure en tête de la constitution de la grande Loge de France, c’est le même que celui de la République : liberté, égalité, fraternité. En France, les principales obédiences historiques ont un ministère de tutelle. C’est le ministère de l’Intérieur.
Il y a, en Italie, 150 à 200 obédiences, parfois difficilement identifiables, qui, d’une certaine manière, échappent au contrôle de l’État. D’où cette méfiance déjà ancienne et naturelle à l’égard de la maçonnerie surtout après les dérives, à la fin des années 70, de la loge P2 qui était une loge politique, affairiste, voire mafieuse comme la presse a pu le révéler.
Le mouvement qui arrive au pouvoir en Italie, classée à la droite de la droite, à l’extrême droite, augmente cette méfiance à l’égard de la maçonnerie. Et je ne suis pas certain que ce soit constitutionnel ou légal d’interdire une représentation nationale à quelqu’un qui est catholique, juif, musulman… Aussi l’interdiction aux francs maçons d’être dans le gouvernement italien, correspond à une stigmatisation. »
DLH : Une telle attitude des politiques italiens n’est-elle pas de nature à vous enfermer dans cette culture du secret qui vous est justement reprochée ?
A. G : « Je pense que cela n’aura pas d’incidence sur la manière dont la maçonnerie est pratiquée en France. Ce qui se passe en Italie peut exciter la méfiance à l’égard de la maçonnerie qui souhaite rester, pour l’appartenance, secrète, et pour le reste, discrète. Nos travaux n’ont rien qui puisse menacer la légalité républicaine et le fonctionnement de l’État français, autrement la relation avec notre ministère de tutelle ne serait pas aussi souple qu’elle est aujourd’hui. La maçonnerie est reconnue par l’État au même titre que les grandes religions ou les autres familles de pensée.»
DLH : Affirmer que les francs-maçons tirent les ficelles du pouvoir, est-ce réellement un fantasme?
A. G : « Imaginer une telle chose, c’est une pure plaisanterie. A l’analyse, ça ne résiste pas. La théorie du complot, elle n’est pas seulement franco-française. Il y a des gens qui s’imaginent qu’il y a une sorte de sommet de la pyramide mondiale, composé de francs maçons qui tirent les ficelles de l’économie mondiale… C’est une blague absolue. Je crois en revanche que la puissance des Google, Apple, Microsoft est bien plus réelle que tous les fantasmes que l’on pourrait mettre sur le dos de la maçonnerie, voire même de la judéo-maçonnerie…
J’ajouterai que l’appartenance maçonnique d’un membre à une loge de la Grande Loge, du Grand Orient ou d’autres obédiences ne fait pas l’objet d’un dévoilement officiel. Autrement dit, tous les membres des obédiences maçonniques ne sont pas connus de l’État. Aussi vouloir jouer un rôle politique avec des membres qui refusent d’être identifiés en tant que tel serait un manque de transparence. Ce serait même une épine dans le pied de la démocratie car le fonctionnement démocratique appelle de la transparence. »
Propos recueillis par Jean-Louis Pierre