Cinéma : Je ne suis pas un homme facile

 

Comédie romantique française d’Éléonore Pourriat, avec Vincent Elbaz, Marie-Sophie Ferdane, Pierre Bénézit et Blanche Gardin.

Il existe maintenant des films d’un nouveau genre : les fameux longs-métrages Netflix qui avaient crée une polémique l’année dernière lors du Festival de Cannes, parce que ces productions n’ont pas l’honneur d’être propulsées dans la jungle des sorties du mercredi dans les salles obscures : lieux éclairés, où une bonne quinzaine d’opus sont en concurrence largement déloyale. En effet, quelle place cette semaine pour Transit, le beau film de Christian Petzold sorti face à la franchise des studios Marvel Avengers,bénéficiant elle d’une immense couverture promotionnelle et médiatique ?

Afin d’éteindre toute polémique, cette année les films Netflix seront privés de compétition sur la Croisette, une décision annoncée par Thierry Frémeaux, le délégué général du Festival. Seule alternative, d’après le Los Angeles Time, pour les dirigeants de la plateforme de streaming: acheter des salles obscures à New York ou Los Angeles afin de permettre à leurs productions de concourir dans les festivals et cérémonies du 7èmeart.

Même si le premier film réalisé par la comédienne Eléonore Pourriat, Je ne suis pas un homme facile, n’est pas encore en lice pour être à l’affiche à Times Square, son histoire n’en est pas moins singulière et excitante. Repérée grâce à son court métrage Majorité oppriméesur YouTube, Eléonore Pourriat s’est vu accorder deux millions d’euros pour réaliser le premier film Netflix en français, mettant en scène un monde dominé par les femmes.

Le jour où Damien (Vincent Elbazau meilleur de sa forme), Don Juan célibataire, se prend un mauvais coup sur la tête, tout son quotidien vacille. Il se réveille dans un monde certes familier, mais dont les normes ont été bouleversées : les femmes ont pris le pouvoir. Pour ce séducteur incorrigible, c’est le choc : il se fâche avec son meilleur ami trop soumis (le drôlissime Pierre Bébézit), perd son emploi après s’être fait recadrer par sa cheffe, se fait éhontément draguer par une amie (la désopilante humoriste Blanche Gardin). Un cauchemar, seulement atténué par sa rencontre avec Alexandra (Marie-Sophie Ferdane, magnétique à souhait), une romancière à succès dont Damien tombe sous le charme. Un nouveau film commence …

Si cette comédie romantique est (trop) conforme aux films de ce (trans)genre imposé, elle n’en est pas moins plaisante et inventive. L’inversion des rôles parvient à nous faire réfléchir sur nos comportements quotidiens souvent gentiment machistes. Chez Éléonore Pourriat, des femmes en costards et grosses voitures lisent L’Équipe, regardent le rugby (féminin bien sûr) avec ferveur et matent sans gêne les mecs dans la rue. Naturellement elles pissent également debout et exigent des hommes qu’ils s’épilent !

Seule alternative pour Damien dans ce monde de brutes : s’essayer au « masculinisme » en portant lui-même le costard quitte à passer pour un gay, militer au sein de « Nichons-nous partout », association d’hommes nippés de poitrine en latex pour dénoncer un monde dominé par les femmes, et participer à une manifestation au Collège de France contre les «clitocrates».

Dans le rôle titre de celui qui n’est pas un homme facile, Vincent Elbaz possède toutes les qualités du « mâle alpha hyper sympa » en tête d’affiche. A ses côtés une violoniste, ancienne pensionnaire de la Comédie-Française, vue notamment dans la série Engrenages, mais peu connue du grand public : l’exquise Marie-Sophie Ferdane.

Pour accompagner nos héros en quête d’eux-mêmes et d’amour, Fred Avril signe une composition aux influences pop-rock, funk et jazz. Ce musicien français, lui aussi tourné vers le monde, a débutéau cinéma avecSparrowduréalisateur hong-kongais Johnnie To. Se mêlent à ses accords majeursle « You’re the one that I want » de Lo-Fang, « Choir » de Perfume Genius, et « The Sinner » de Isaac Delusion au générique de fin.

Finalement, Je ne suis pas un homme facileest désormais disponible dans les cent quatre-vingt dix pays où Netflix est présent. Une vraie victoire pour sa réalisatrice plus un éclairage inespéré pour une comédie romantique française d’un nouveau genre, lancée à la conquête du monde de l’après Weinstein.

 

Raphaël MORETTO