Novembre 1919. Deux rescapés des tranchées, l’un dessinateur de génie (Nahuel Perez Biscayart), l’autre modeste comptable (Albert Dupontel lui-même), décident de monter une arnaque aux monuments aux morts. Dans la France des années folles, l’entreprise va se révéler aussi dangereuse que spectaculaire.
Voilà dans le fond un film anarcho-libertaire d’une forme innovante et d’une force créatrice sans précédent : jeux de masques, jeux de dupes, mascarades poétiques et visages vernis jamais vilains ! Avec Albert Dupontel, le cinéma est un art total et un spectacle lyrique enthousiasmant, inespéré et déroutant.
Cette adaptation réussie du roman de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, est édité fin février chez Gaumont, dans un écrin de toute beauté, qui intègre pour la première fois dans l’histoire du support vidéo une piste Dolby Atmos, ajoutant une dimension verticale au champ sonore déjà existant.
En même temps que cette sortie historique, la farce engagée d’Albert Dupontel sur fond de Grande boucherie, reçoit également treize nominations lors de la 43ème Cérémonie des César. Voici donc 7 bonnes raisons de (re)découvrir cette histoire déboussolante, qui devrait rafler quelques trophées du cinéma, après son succès romanesque au Goncourt :
❶ Pour l’inventivité inépuisable et le sens du spectacle vertigineux de cette épopée virtuose au rythme palpitant. La mise en scène graphique à la Terry Gilliam donne lieu à des envolées lyriques et poétiques dans les rues du Paris de l’époque, et à des scènes fascinantes comme celle du cheval enfoui sous la terre, enflammée par un obus allemand.
❷ Pour la photographie du chef opérateur Vincent Mathias, inspirée des autochromes, procédé couleur sur plaque de verre des frères Lumière, ainsi que des images d’archives colorisées de la Grande Guerre, rappelant notamment le documentaire Apocalypse La Première Guerre mondiale. Les teintes de peaux sont proches du noir-et-blanc, et d’autres, plus vives, sont très saturées. L’image possède alors une identité visuelle propre en même temps qu’une texture très singulière : une véritable prouesse !
❸ Pour l’acteur argentin Nahuel Pérez Biscayart, nommé pour le César de la révélation masculine … mais pour un autre chef-d’œuvre militant, 120 Battements par minute ! Son personnage de Péricourt est capital : même masqué, il marque de sa présence touchante et blessée tout le film baroque et barré d’Albert Dupontel.
❹ Pour l’intérêt porté à la souffrance des marginaux et le soin apporté à tous les personnages : le lieutenant Pradelle, hobereau lessivé et ambitieux (le glaçant Laurent Lafitte), le prédateur social père Péricourt (Niels Arestrup plus en nuances que d’habitude), Madeleine femme de son temps bien mal entourée (la combattive Emilie Dequenne), la fragile Pauline (Mélanie Thierry toujours solaire), la petite traductrice Louise (épatante Héloïse Balster). Dupontel est un fabuleux et généreux directeur d’acteurs … et d’actrices !
❺ Pour la beauté des décors, des costumes et la peinture déjantée des Années folles : entre masques fascinants et marques de la fabrique apocalyptique qu’est la guerre, ce film jamais réaliste dans son traitement malgré le soin apporté au travail de reconstitution, engage un tournant surréaliste et parfois inquiétant, qui prend toute son ampleur dans son final surprenant et inattendu.
❻ Pour la musique de Christophe Julien, compositeur attitré de Dupontel. Un thème d’amour, un air inspiré de la valse de Ravel accompagnant la relation des Péricourt, puis un chant final viennent se mêler aux nombreuses compositions déjà existantes de Nino Rota, Ennio Morricone, Rachel Portman, Debbie Wiseman, Gabriel Yared ou Cliff Martinez … et à la musique des années folles du pianiste de swing Fletcher Henderson. Une très belle partition, riche et variée, qui donne du souffle et de l’ampleur à un film qui n’en manque jamais !
❼ Pour Albert Dupontel, son génie, son audace, sa grandeur d’âme et la place si particulière qu’il occupe dans le cinéma français. Souhaitons que l’Académie des César et ses votants lui rendent l’hommage vibrant qu’il mérite, le 2 mars 2018 à la salle Pleyel à Paris. Mais peut-être lui préfèrera-t-on le drame contemporain de Robin Campillo, 120 battements par minute, qui détient également treize nominations. Le destin du personnage principal Sean, joué par le même acteur Nahuel Pérez Biscayart, est finalement assez proche ! Tout ceci est vraiment très troublant.
Raphaël MORETTO
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