Je suis curieux. Vous aussi ? Parfois, j’aimerais jouer la petite souris qui s’immisce dans les conversations ? Vous aussi ? Alors suivez moi.
Vendredi 21 mars 2014. 12 h 30, dans une grande brasserie du centre de Dijon. La salle est pleine, comme tous les midis. Face à moi, un quadra aux tempes déjà grisonnantes, le costume fatigué, la cravate mal nouée, les cheveux en bataille est plongé dans la lecture de son « Libé ». Au centre de son attention, un article sur l’escalade militaire en Crimée. La table à côté, son voisin a le look du cadre sup, en chemise blanche immaculée, avec cette manière agaçante et un peu raide de porter le costume-cravate, n’arrive pas à décrocher de son « Figaro » et plus particulièrement du papier consacré à la renégociation de la convention UNEDIC entre patronat et syndicats. Sa pièce de bœuf saignante attend désespérément un premier coup de fourchette.
Un peu plus loin, la discussion s’anime entre deux femmes. Deux bonnes copines visiblement. La première, le buste moulé dans une petite robe noire, lance : « Demain, c’est mon anniversaire. J’ai hâte de découvrir le cadeau que JC va me faire. Un voyage ? Un sac à main ? Une montre ? ». Son amie force la voix qu’elle a douce : « Babette, tu as déjà tout ! A part un amant ? » Elisabeth éclate de rire. Visiblement, les mèches échappées du chignon de grande bourgeoise ne suffisent pas à faire un esprit rebelle…
Leurs deux voisins n’ont pas l’air de se soucier de la légèreté des propos tenus. L’un d’eux, le visage buriné, visiblement hâlé par un travail en extérieur s’adresse à l’autre, mâchoire malabar et sourcils en accent circonflexe : « T’as vu. Ce soir, le DFCO se déplace à Troyes. Faut absolument qu’ils gagnent pour ne pas décrocher du trio de tête ». Et les voilà partis sur la composition de l’équipe, les matchs des adversaires directs à la montée.
Côté vitrine, deux femmes d’un âge respectable n’en reviennent pas. Le maire d’une commune de l’agglomération placé en garde à vue pour harcèlement et abus sexuels. « C’est peut-être un coup monté » déclare celle qui tourne le dos à la porte. Le serveur débarrasse une table de quatre. Il semble connaître les clients. Sans doute, des habitués. « Alors, M. Fred, vous qui pilotez, vous en pensez quoi de cet avion disparu qu’on ne retrouve plus » ? « Celui-là on le reverra jamais. Remets nous donc quatre verres de Marsannay ! »
A l’entrée du restaurant, un client, chauve comme une mappemonde, le ventre rebondi et les joues gonflées comme des ballons, termine le dessert du jour après avoir envoyé un énième sms. Il n’a que d’yeux que pour la personne qui vient d’entrer, la petite cinquantaine élégamment portée…
Et la petite souris de finir son tour de salle. Plein de miettes d’infos diverses, variées et avariées. Mais pas une miette sur le premier tour des élections municipales du dimanche 23 mars. Visiblement, tous ces gens devaient faire partie des 33964 abstentionnistes à Dijon.
C’est vrai que cette élection n’a pas connu la ferveur des précédentes…
Jean-Louis PIERRE