Les choses commencent souvent quand on est petit. Plus qu’une passion, un passage obligé : enfant, on collectionne des choses conventionnelles, par mimétisme et incitation familiale : vignettes Panini, poupées, boîtes et petits soldats. Il fut une époque où les papillons, les petits trains, les soldats de plomb et les timbres postes trustaient les suffrages. Devenus adultes, certains collectionnent aventures, expériences et déconvenues. D’autres révèlent leur âme de « vrai » collectionneur. Et l’objet de la « passion accumulante » va des objets les plus communs (capsules de champagne, boîtes de camembert, étiquettes de grands crus…), qui trouveront un attrait particulier dans la comparaison et la chronologie. Et puis il y a les collections les plus incongrues : os de mammouth, panneaux de sens interdits, poissons d’avril… Les noms des collectionneurs font d’ailleurs la joie des jeux de culture générale. Savez-vous quel est l’objet des attentions des « coquetophiles », des « phaléristes », des « lucanophiles (qui, indice, sont aussi des « cervolistes ») et des « pétrophiles » ? Et pourtant, il y en a. Et ne vous amusez pas à leur dire que coquetiers ou cerfs-volants sont sans intérêt, car ils ont pour ceux-ci les yeux de Chimène !
Les collectionneurs sont des millions dans l’Hexagone, et la « collectionnite » un véritable phénomène de société, avec ses magazines, ses salons, ses sites Internet. Brocanteurs et antiquaires connaissent bien les collectionneurs, qui sont de très bons clients. Et le « peuple collectionneur » est réparti en une infinité de sous-familles, organisées comme autant de castes : amateurs de « Johnny », de poupées en porcelaine, de bouteilles de bières, de statues animalières (tortues, chouettes et chatons!). Plus classiquement, livres anciens et cultes autour d’un artiste adoré (autographes, affiches, livres, « objets-reliques ») tiennent encore le haut du pavé.
Bien sûr, les psychologues se régalent à analyser la fièvre collectionneuse. Car entre course sans fin, marotte qui peut rendre insomniaque et folles dépenses pour assouvir sa passion exclusive, il y a sans doute une psycho(patho)logie du collectionneur. Celui-ci est obsessionnel, hyper-organisé, angoissé, mais aussi émotif, nostalgique, idéaliste, et tellement fier de « sa » collection. Car il a tissé un lien d’amour avec des objets élevés au rang de personnes singulières. Le collectionneur n’a-t-il pas des « coups de foudre » !? Les psychologues relèvent que ce ne sont pas tant les objets qui sont sacralisés que le lien entretenu avec eux ; et souvent, le thème de la collection possède des résonances intimes profondes.
Notre époque a vu les objets connectés, smartphones, ordinateurs, tablettes monter en puissance et s’imposer dans notre quotidien. Mais bien avant ces Nouvelles Technologies, les objets connectés, ce sont tous ces objets pas si déclassés que ça, qui nous relie à nos souvenirs, à nos proches, à nos grands absents, à notre communauté de cœur, de sang, de vie. D’ailleurs, d’une connexion (technologique) à l’autre (mémorielle et intime), Internet a démultiplié les possibilités de collectionner, de rentrer en contact, d’agréger, de fédérer, de rassembler à distance des choses éparses.
On en revient à la célèbre exhortation du poète : « objets inanimés, avez-vous donc une âme, qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? ». Sans hésiter, les collectionneurs répondent oui ; ces choses parfois banales, déclassées, oubliées retrouvent une vie, un attrait économique et social et un sens historique, à travers les attentions qui leur sont portées, le culte organisé autour d’eux. Une collection, finalement, c’est la grande symphonie des objets.
Pascal Lardellier