LES 7 DE CHICAGO

Thriller judicaire américain d’Aaron Sorkin, avec Sacha Baron Cohen, Jeremy Strong, Mark Rylance, Joseph Gordon-Levitt, Michael Keaton, Eddie Redmayne.

La Convention nationale démocrate de 1968 se déroule à Chicago. Elle doit désigner le candidat à l’élection présidentielle américaine de 1968. De nombreuses manifestations ont alors lieu en ville, notamment pour protester contre la guerre du Viêt Nam et contre la politique du Président Lyndon B. Johnson. La répression policière est forte, sous l’impulsion du maire Richard Daley. En 1969, sept organisateurs de la manifestation, surnommés les « Chicago Seven » (Abbie Hoffman, Jerry Rubin, David Dellinger, Tom Hayden, Rennie Davis, John Froines et Lee Weiner), sont poursuivis par le gouvernement fédéral pour conspiration. Un huitième homme, Bobby Seale (cofondateur du Black Panther Party), est lui aussi jugé, mais séparément. C’est le début d’un procès retentissant, resté dans les mémoires américaines.

LOIN DES SALLES OBSCURES

Cinquante ans plus tard, Aaron Sorkin redonne vie avec cette affaire un brin surréaliste, qui résonne par moment étrangement avec notre époque. Initialement, sa relecture des « Chicago Seven » devait sortir au cinéma la semaine dernière. Mais voilà, même les grandes salles des multiplexes, le soir, sont quasiment désertes … Et je ne vous parle pas de la situation des grandes métropoles contraintes au couvre-feu ! Paramount Pictures prend alors la décision d’annuler la sortie des 7 DE CHICAGO, et de revendre les droits à Netflix, d’où la diffusion du film depuis le 16 octobre sur la plateforme de streaming.

LES 7 DE CHICAGO n’est que le deuxième long-métrage du réalisateur du GRAND JEU (2018), déjà une prodigieuse histoire vraie, celle d’une jeune femme surdouée (interprétée par la lumineuse Jessica Chastain) devenue la reine d’un gigantesque empire du jeu clandestin. Loin de la clandestinité du grand jeu de la jolie rousse qui enflamme Hollywood, Aaron Sorkin est lui surtout connu pour être le scénariste génial de THE SOCIAL NETWORK (2010) de David Fincher ou de la série A LA MAISON BLANCHE. La programmation de son second opus, si elle n’est pas clandestine, est marquée tout de même par les contraintes de la crise sanitaire.

UN THRILLER HISTORIQUE GRINÇANT

Le grand Steven Spielberg devait à l’origine réaliser le projet porté par Sorkin. Mais c’est bien le scénariste lui-même qui le mettra en scène, réussissant à s’emparer des codes de ce procès extravagant pour rendre ce thriller judiciaire terriblement actuel.

On retrouve ainsi plusieurs leaders de groupes activistes, accusés par l’administration Nixon d’avoir organisé des émeutes sanglantes, dans un procès, où pleuvent les distributions d’outrage, et rendu dynamique par une mise en scène nerveuse. En effet, LES 7 DE CHICAGO n’est pas seulement ici un drame judiciaire : par un habile jeu de montage et de flash-back, le scénariste et metteur en scène, parvient à nous entrainer également dans une aventure humaine et historique grinçante, grâce notamment à l’entrain d’une distribution exceptionnelle et un sens de la réplique affûté.

Les accrochages permanents entre Abbie Hoffman (le truculent Sacha Baron Cohen) et le juge Julius Hoffman (Franck Langella) arrivent à être hilarants malgré la gravité du contexte. Ces empoignades verbales contrastent avec la décontraction d’un Jerry Rubin (ineffable Jeremy Strong), cofondateur du mouvement Yippies, auteur de ce slogan soixante-huitard : « Dans une société qui abolit toute aventure, la seule aventure possible c’est l’abolition de cette société. ». Rubin sera par la suite un des premiers investisseurs de l’entreprise Apple … et un fervent partisan de Ronald Reagan !

SOUS LE FEU DES PROJECTEURS

Comme chef-opérateur, Sorkin engage le réalisateur américain d’origine grecque Phedon Papamichael, BAFA 2020 de la meilleure photographie pour LE MANS 66. Ce grand spécialiste de la lumière parvient à recréer le rendu d’une époque, mêlant astucieusement les images d’archives à celles de la fiction. Pour confirmer par la note, cette atmosphère propre à la fin des années soixante, le compositeur britannique Daniel Pemberton retrouve Aaron Sorkin après LE GRAND JEU, avec une chanson originale « Hear my voice », interprétée par Céleste. 

LES 7 DE CHICAGO, film résolument engagé, se termine par cette phrase qui souhaiterait sans doute mettre en garde les électeurs de l’Amérique trumpienne : « Le monde entier nous regarde ». Mais ce regard sera-t-il suffisant pour faire changer l’Amérique … et le monde ?

Raphaël Moretto