Cette décision a fait grand bruit. A la veille du dernier conseil municipal, le maire de Chenôve, Thierry Falconnet, a annoncé que ses policiers municipaux disposeront d’une arme létale de catégorie B (à savoir arme à feu et arme de poing). C’est un message fort adressé à la population de la Cité des Bonbis mais aussi à l’Etat. Le nouveau président de l’association Ville & Banlieue nous explique les raisons qui l’ont poussé à prendre ce tournant de taille en matière de tranquillité publique.
Dijon l’Hebdo : Vous avez décidé de franchir le pas des armes à feu pour vos policiers municipaux. C’est une décision forte qui n’est pas passée inaperçue…
Thierry Falconnet : « C’est une décision forte que je prends après avoir longuement réfléchi. J’ai aussi longuement analysé des éléments de contexte. Chacune et chacun les connaissent : six mois de violence urbaine, l’incendie volontaire et criminel du Centre de loisirs du Plateau le 13 mars, soit deux jours avant le premier tour des élections municipales, des destructions d’équipements publics, des incendies de véhicules… La ville de Chenôve a également été victime collatérale des événements de Dijon au mois de juin. Des incivilités récurrentes perturbent, parasitent, occultent l’ensemble des politiques publiques dynamiques que l’on met en place sur le territoire en matière éducative, sportive, d’accompagnement à l’emploi, d’insertion… Autrement dit toutes les politiques pour améliorer le quotidien des habitants et, notamment, ceux du quartier Politique de la Ville ».
DLH : Pensez-vous que cette décision apportera réellement sa pierre à l’attractivité de Chenôve pour laquelle vous multipliez les actions ?
T. F : « Nous œuvrons en effet à la transformation urbaine de la ville de Chenôve, à un rééquilibrage sociologique. Nous avons la volonté d’amener une nouvelle population. Je viens au demeurant de présenter le projet Kennedy et je pourrais évoquer la finalisation du projet de centralité, les Vergers du Sud, l’urbanisation à venir sur la rue Roland-Carraz. Chenôve est un territoire de projets, un territoire que nous voulons attractif… Tout cela fait que la question de la tranquillité publique doit faire l’objet d’une réaffirmation de l’autorité municipale ! »
DLH : Les habitants de Chenôve vous ont-ils fait part du souhait de voir leur police municipale armée ?
T. F : « A travers cette question de l’armement, je réponds à l’exigence de moyens dont la population me fait part. L’exaspération est palpable, quotidiennement, sur cette question de la part des Chenevelières et des Cheneveliers. Ces questions reviennent systématiquement dans les réunions publiques, dans les visites de quartiers. Le contexte réglementaire fait aussi qu’avec la loi Engagement et Proximité les maires voient leurs prérogatives renforcées sur ces questions ».
DLH : C’est certes une décision forte à l’adresse de la population mais n’est-ce pas aussi un message envoyé à l’Etat ?
T. F : « Bien sûr ! Je rappelle que j’ai interpellé les autorités compétentes à tous les niveaux : que ce soit le Préfet, le ministre de l’Intérieur, le Garde des Sceaux. J’ai demandé des moyens humains, des moyens supplémentaires. J’ai demandé le classement d’une partie du territoire de Chenôve en quartier de reconquête républicaine. J’ai demandé un examen de l’application de la loi anti-rodéos sur Chenôve. Depuis que je suis président de Ville & Banlieue, je peux mesurer que cette préoccupation n’est pas uniquement celle d’un maire mais qu’elle est celle des maires, notamment de ceux des communes de la Politique de la Ville. Ils font tous le même constat de moyens d’Etat insuffisants sur les quartiers populaires, et des incivilités dont souffrent leurs populations. Il y a la nécessité de réaffirmer fortement l’autorité du maire, qui, je le rappelle, est le représentant de l’Etat sur le territoire de la commune mais plus largement de réaffirmer l’autorité de l’Etat ».
DLH : Cette évolution nécessitera-t-elle de revoir la convention que vous avez avec la Police nationale ?
T. F : « Obligatoirement. Nous allons réviser cette convention qui lie la Police municipale de Chenôve avec la Police Nationale eu égard à l’intégration de l’armement de la Police municipale mais également à cause de l’extension des horaires de travail des policiers municipaux (ndlr : en soirée, jusqu’à 23 heures, et les week-ends). L’armement est la mesure choc mais j’ai décidé de passer en deux ans de 8 à 12 policiers municipaux. Nous allons recruter des Agents de surveillance de voie publique (ASVP) pour dégager les policiers municipaux de tâches de gestion quotidienne de l’espace public : propreté, stationnement, brigade verte… Ils pourront ainsi se recentrer sur des missions de police municipale, c’est à dire faire appliquer les arrêtés du maire et accompagner l’action de l’Etat sur le territoire pour plus de tranquillité, plus de sécurité… »
DLH : Quid de la formation de vos policiers municipaux ?
T. F : « Cet armement sera évidemment accompagné d’un plan de formation des agents. Celui-ci satisfera les obligations réglementaires, mais je souhaite qu’il soit plus large et renforcé de manière à ce que les agents qui seront demain armés d’une arme individuelle de catégorie B soient aussi formés y compris sur le plan psychologique. Parce que porter une arme à feu change à la fois la posture de l’agent mais aussi la nature de ses relations aux usagers et à la population. Contrairement à ce que peut prétendre mon opposition, je suis un maire soucieux de faire de cette question un sujet le plus largement partagé. Aussi vais-je mettre en place un groupe de suivi de la tranquillité publique sur la ville dans lequel seront bien évidemment associées toutes les sensibilités politiques présentes au conseil municipal, de la majorité comme de l’opposition. Je souhaite que cette question fasse l’objet d’un diagnostic partagé, de constats partagés et éventuellement d’une action acceptée par tous ».
DLH : Même si le sujet fait (toujours) débat, un policier municipal sur 2 est armé aujourd’hui en France…
T. F : « Nous sommes aujourd’hui à 53 % des policiers municipaux armés d’une arme de poing individuelle. Sachez qu’au niveau de Villes & Banlieue, les situations sont comme partout en France contrastées. Je vais l’illustrer par deux exemples : Hélène Geoffroy, ancienne secrétaire d’Etat à la Politique de la Ville de François Hollande, socialiste, maire de Vaulx-en-Velin, a décidé d’armer il y a deux ans sa Police municipale quand, dans le même temps, Catherine Arenou, ex-Les Républicains, maire de Chanteloup-les-Vignes, elle, a décidé de ne pas le faire. La décision que je prends est une décision propre à la situation de Chenôve, au contexte et au constat effectué sur notre commune. Je ne donne pas de leçon à qui que ce soit, un maire exerce ses pouvoirs de police comme il l’entend. Maintenant c’est une décision que j’assume en pleine connaissance de cause et en pleine responsabilité des pouvoirs qui sont les miens. Ce n’est pas une décision que je prends sous le coup d’une réaction à certains événements. Je la prends dans un contexte qui est, à l’heure actuelle, plus paisible que celui que nous avons connu. C’est bien une réflexion de long terme ! »
Propos recueillis par Camille Gablo
Thierry Falconnet, président de Ville & Banlieue
Le 16 septembre à Paris, Thierry Falconnet a été élu président de l’association des maires Ville & Banlieue de France, qui a vu le jour en 1983 afin de favoriser « le développement des quartiers les plus fragiles et valoriser l’image des villes de banlieue ». Il a succédé au maire de La Seyne-sur-Mer, Marc Vuillemot à la tête de cette structure regroupant quelque 59 communes et intercommunalités.
Armement municipal :
Rappel à la loi
La loi laisse aux collectivités le soin de décider de l’armement ou non de leurs agents de police municipale. L’armement des policiers municipaux est régi par des textes, comme le décret du 24 mars 2000, regroupés au sein du Code de la sécurité intérieure, précisant quelles armes peuvent équiper les policiers municipaux et dans quelles conditions.
Le maire possède la faculté d’armer sa police municipale grâce à la loi n° 99-291 du 15 avril 1999, aujourd’hui codifiée par l’article L 511-5 du Code de la sécurité intérieure. A noter que les conditions d’armement des polices municipales sont les suivantes : une demande doit être faite par le maire au préfet du département, pour sa commune et au nom de chaque agent de police municipale ; des restrictions législatives existent pour l’acquisition, la détention et la conservation par la commune des armes et munitions ; des formations préalables et continues sont exigées quant à l’utilisation des armes par les agents.
Les policiers municipaux peuvent disposer d’un armement qui doit être porté de façon continue et apparente. Toutes armes non prévues par ces textes ne peuvent être ni détenues par une collectivité, ni portées par un agent de police municipale. Quant à la liste des armes, elle est fixée par l’article R. 511-12 du Code de la sécurité intérieure. Les armes de catégorie B comprennent les revolvers calibre 38 spécial, les pistolets semi automatiques, les flashball, les tasers et aérosols lacrymogènes d’une contenance de plus de 100 ml.