N°1, rue Jeannin. Un après-midi d’août. Un ciel bleu majuscule. Une fois encore, le vieux Dijon se trouve pris en flagrant délit de poésie et d’entrelacs d’architectures Renaissance, 18e et fin 19e avec une sorte d’appentis improbable et magique entre les deux très nobles corps de bâtiments de ce bel hôtel particulier. Dans la cour d’honneur, des rosiers délicatement fatigués par la chaleur et, tout de suite à gauche, l’atelier-galerie de Françoise Le Corre, restauratrice de tableaux mais pas que… Attention ! Ici, percée dans des univers parallèles de l’art.
Chez Françoise Le Corre, prédomine un goût pour les passerelles entre les siècles et les arts, tout comme pour les carrefours où circulent l’imagination et la création. Sa profession consiste d’ailleurs à ausculter les tableaux altérés par l’âge qui lui sont confiés à des fins de restauration ; l’œil en alerte, elle dressera un diagnostic quitte à recourir, s’il le faut, aux radioscopies, aux infra-rouges ou aux ultra-violets. Quitte aussi à se tourner vers les laboratoires de musées à l’avant-garde en matière de technologies d’investigation. A la suite de quoi, elle appliquera différents traitements avec des matériaux modernes stables afin de rendre leur aspect initial aux œuvres, tout en respectant leur intégrité physique, esthétique et historique ainsi que leurs lignes de force et leurs lignes de vie… Animée par la fougue et la passion pour son travail, elle confie : « L’attrait du métier de restaurateur d’art réside dans le fait qu’il s’agit d’une activité pluridisciplinaire. Je suis tout à la fois historienne, scientifique et artisan. Je travaille pour le compte de musées, d’antiquaires, de collectivités territoriales ou bien sûr des particuliers. On me sollicite également pour intervenir en amont d’expositions d’art contemporain ou patrimonial afin, là encore, de statuer sur l’état de santé des peintures et d’opérer, si nécessaire, une conservation d’ordre préventif ».
Sa très solide formation à l’université de Paris – confortée par plusieurs séjours d’études en Italie dont à « l’Opificio delle Pietre Dure » de Florence – lui vaut le privilège mérité d’avoir pour clients de nombreux musées. Dans l’hexagone. En Bretagne, dont elle est originaire. Et bien sûr à Dijon, au musée des Beaux-Arts, à Magnin. C’est pour le compte de ce dernier qu’elle a l’an dernier merveilleusement restauré le portrait de Giovan Donato Corregio du grand peintre vénitien Strozzi, et qui fut l’un des tableaux-vedettes de la saison passée. L’extrême liberté mâtinée d’humour de l’artiste n’avait d’ailleurs pas manqué de séduire Françoise Le Corre au cours de la restauration du tableau, elle, qui possède une personnalité ouverte, chaleureuse et curieuse de tout… Pour preuve, les expositions qu’elle organise régulièrement dans son atelier qui sont source de rêves et d’émotions pour l’amateur d’art qui s’offre le bonheur de franchir le portail.
Photographies en miroir
Françoise Le Corre accueille dans sa galerie de la rue Jeannin l’exposition de photographies « Contrepoints » jusqu’au 20 septembre. Cette manifestation mérite le détour. D’une salle à l’autre, le visiteur sera séduit par la liberté d’inspiration et la volonté d’Elina Brotherus d’échapper aux modes de notre époque. Très vite on est happé par le caractère insolite ainsi que l’intemporalité des œuvres exposées : l’artiste finnoise se photographie dans la quasi-totalité de ses compositions, se mettant en situation dans des lieux magnifiés et figés par l’usure du temps. Et pourtant rien d’égotisme dans le propos… Bien au contraire ! Le parti-pris d’Elina à multiplier ses apparitions dans des décors incongrus ou décalés, le reflet de son visage austère, ou de son corps de ballerine androgyne dans des miroirs altérés par les ans augmentent la beauté en abysses de ses séquences de vie, transfigurées par des lambris et des papiers peints surannés, ou sublimées par les reflets sur des vitres et les vibrations de lumière de miroirs ternis. Ce brouillage des sphères d’intimité et d’universalité opère un charme indicible et d’ordre quasi archéologique. Elina Brotherus fixe ainsi dans l’objectif le combat silencieux de l’ombre et de la lumière dans une journée, l’absolu d’une nuit étoilée, des lacs aux eaux subjectives, ou les forêts enneigées de sa Finlande natale pour les traiter comme des personnages à part entière … L’artiste ne se départit jamais d’une distance critique et d’un humour subtil avec elle-même ou son double, comme en témoigne sa série « La Règle du jeu » ainsi que deux photographies exposées à la galerie où on la voit gambader comme un lutin, tel le champignon magique des contes de fées de l’Europe du Nord.
Marie France Poirier
L’Atelier/Galerie Françoise Le Corre 1 rue Jeannin 21000 Dijon Tel : 06 87 50 70 76. Du mardi au samedi 14h à 18h et sur rdv