Hot dog – Kebbab : 0 – 0

Roland Barthes cherchait par goût le degré zéro de l’écriture. Toutes choses égales par ailleurs, je me suis demandé si on pouvait se fixer ou trouver, au risque du dégoût, un degré zéro de la nourriture. Pas nécessairement dans les lieux de vente alimentaires où j’irai mettre mon nez, le moment venu. Mais sur les lieux mêmes de la consommation alimentaire, pour la mise en bouche directe.

J’aurais pu cracher mon venin sur une table indigne de la ville, prendre le masque du Zorro zélé pour infliger le zéro pointé. Mais pourquoi se fâcher d’entrée avec le voisinage, coller une gamelle à un brave restaurateur qui ne vous a rien demandé ?
Non, allons un peu plus loin, un peu plus bas, histoire de fixer ce point zéro d’où il faut partir. On pourra ainsi mesurer toute la marge qui nous sépare du bon, tout le chemin à parcourir pour retrouver le goût et les bonnes choses.
Ce point d’origine, au plus bas de l’échelle, je crois l’avoir trouvé non pas en position assise mais en station debout. Station, c’est bien le terme, car impossible de bouger, des minutes durant, dans ma file d’attente littéralement paralysée. Allez savoir pourquoi, je suis à la buvette du DFCO, mais rien ne se passe. A la mi-temps, je pouvais espérer en buvette un petit en-cas moins insipide que le jeu de mon équipe, un peu fâchée avec le ballon depuis quelque temps.
La patience confine désormais à l’héroïsme. Un petit œil sur l’offre, kebbab ou hot dog, hot dog ou kebbab. Rien ne bouge. La frite résiste, l’huile ne peut en venir à bout. Le jeu va reprendre, la file s’anime comme par miracle. Je touche enfin, avec mon hot-dog-frites, le Graal et le gras d’une témérité récompensée.
La déception n’en sera que plus amère. Il faut renoncer à la moindre saveur agréable, dans le cumul d’un pain sec et rabougri, d’une saucisse défaite, exténuée, avec de pâles et tristes frites définitivement promises à la congélation du goût. Bien sûr, c’est déjà un mérite de proposer buvette, mais à rimer avec cuvette, on finit par toucher le fond.
Rien ne condamne pourtant à la défaite du goût, surtout quand on va au plus simple, au plus rudimentaire de l’offre alimentaire. Pourquoi ne pas imaginer un jour, une buvette plus accueillante et conviviale, réconciliée avec les produits et les saveurs. Allez, on y croit, comme on croit en notre équipe de coeur. Comme le souligne un bel aphorisme Marseillais, repris par les poètes de l’OM, on ne tire pas plus sur buvette en temps de pot, que sur ambulance en temps de paix.

Jean-Jacques BOUTAUD