Cassis : Un retraité sans inquiétude pour l’avenir

C’est un moment fort de la vie économique qui se déroule en cette fin janvier : Jean-Dominique Caseau, patron des deux plus vieilles marques de cassis -L’Héritier Guyot et Lejay-Lagoute, qui s’est toujours allié avec la modernité la plus avancée, prend sa retraite. Son sujet, presque monomaniaque, obsessionnel, aura été, pendant près de 45 ans de bons et pugnaces services, la promotion du cassis. Retour sur le travail de toute une vie.

« Stendhal, dans Le Rouge et le noir, a dit que le plus grand bonheur de sa vie, c’était de faire ce qu’on voulait. C’est ce sentiment là qui m’anime aujourd’hui ». Pas de forfanterie, mais de la fierté simple et sincère dans cette déclaration.

Jean-Dominique Caseau est un homme heureux, satisfait du travail accompli. La curiosité toujours en éveil, il parle avec volubilité pour mieux faire resplendir le film de son passé. Et quand il évoque son métier, tout son corps s’anime, ses yeux flamboient. Passionné, presque habité, il évoque avec gourmandise, dans un français toujours choisi, ce métier qui fait appel aux cinq sens.

« Je suis rentré dans la liquoristerie tout à fait par hasard. Qui plus est, j’avais averti mes parents que je n’y resterais pas plus de 6 mois et, au bout du compte, j’y ai passé 45 ans »… Le jeune expert-comptable fraîchement diplômé n’a pas le temps de se faire le cuir ici ou là. Chez L’Héritier-Guyot, l’univers d’entreprise familiale avec ses produits traditionnels vont vite le séduire. Il intègre une entreprise qui n’est pas le n°1 en France mais qui le deviendra à la fin des années 80.

22 millions de bouteilles

On est en 1978. La suite ? En accéléré : Jean Laroche, le patron de l’époque, est séduit par ce jeune homme calme, à la silhouette filiforme, à l’allure impeccable, posé, réfléchi, scrupuleux, avec une force de travail qui donne le tournis. Un garçon loyal et droit comme il s’en rencontre peu. Autant dire promis à un brillant avenir. Des responsabilités importantes lui sont d’emblée confiées qui le mèneront rapidement au poste de directeur général après avoir été fondé de pouvoir, directeur commercial, directeur général adjoint… jusqu’aux fonctions les plus importantes dans l’entreprise.

Dès ses débuts, Jean-Dominique Caseau se concentre sur le déménagement de l’usine qui quitte les bords de l’Ouche pour rejoindre la zone Cap Nord avec un nouvel outil industriel qui permet de produire 10 millions de bouteilles dont la moitié en sirop. Aujourd’hui, ce sont 22 millions dont 4,5 en crème de cassis et le reste en spiritueux. C’est lui aussi qui va faire évoluer la forme historique des bouteilles tout en conservant les codes couleurs. Il décline ensuite la gamme pour créer la crème de mûre, de pêche, de framboise… désignée, à l’époque, sous le joli nom de « kyrielle des plaisirs ».

« J’ai eu la chance, en 1979, d’être à l’initiative d’un arrêt de la cour de justice européenne sur le cassis de Dijon qui est aujourd’hui considéré comme un des actes fondateurs du principe de la libre circulation des biens et service ». Plutôt pas mal quand on a seulement 25 ans.

Un fort engagement syndical

L’Héritier-Guyot, Jean-Dominique Caseau va la faire évoluer successivement à travers trois actionnariats familiaux : la famille Laroche jusqu’en 1998, la famille Boisset de 1998 à 2009, et la famille Cayard, propriétaire de La Martiniquaise.

Avec l’ère Boisset, ce sont l’investissement dans l’outil de production et la construction d’un portefeuille significatif de spiritueux avec le rachat d’un certain nombre de marques comme Duval, par exemple. Une belle assise aux yeux de la grande distribution toujours soucieuse de la garantie de fournitures. Un point clé en terme de négociations.

Avec la famille Cayard, c’est la possibilité d’inscrire encore mieux L’Héritier Guyot dans un portefeuille plus que significatif qui lui permet aujourd’hui d’être associée aux principales marques leaders dans la vodka ou le whisky. C’est aussi une dimension industrielle très performante avec le renouvellement complet du site de production : « Cela nous permet aujourd’hui, avec 40 personnes, de produire 22 millions de bouteilles avec la possibilité d’aller jusqu’à 35 millions ».

Mais c’est aussi le rapprochement avec Lejay-Lagoute, racheté sous sa conduite dont on connait la méthode et l’opiniâtreté, qui réunit ainsi les deux leaders du cassis représentant 85 % de la vente. Clin d’œil de l’histoire : « J’ai perdu, à l’époque, le procès Kir, une marque propriété de Lejay Lagoute, entreprise dont je suis désormais le président… ». Il le mentionne au détour d’une phrase, sans y accorder plus d’importance que ça.

La carrière de Jean-Dominique Caseau, c’est aussi un fort engagement syndical qui lui a permis d’avoir une vision globale du métier. Que ce soit au sein du syndicat national des liqueurs que de la fédération française des spiritueux dont il est membre fondateur. Ses avis ont pesé, entre autres, sur la loi Scrivener, la loi Chatel… On lui doit aussi la reconnaissance mondiale du guignolet kirsch, le printemps des liqueurs, la création de l’interprofession des fruits transformés et bien d’autres initiatives citées en exemple.

Jean-Dominique Caseau a choisi le 1er février 2023 pour mettre ses pas dans ceux d’un retraité. Mais pas complètement. Il est, en effet, désormais chargé d’initier le dossier de reconnaissance des liqueurs de France au patrimoine incorporel avec l’objectif d’une inscription à l’UNESCO. Voilà un nouvel étendard qu’il va brandir tout aussi fièrement. Et on peut être certain qu’il va veiller sur la bonne ordonnance de cette mission comme un colonel d’infanterie suivrait l’évolution de ses troupes…

Jean-Louis Pierre