Série documentaire de Peter Jackson, réalisée avec des archives filmées par Michael Lindsay-Hogg du 2 au 31 janvier 1969.
Fan inconditionnel des Beatles, le réalisateur Peter Jackson ressuscite près de soixante heures d’images d’archive, tournées lors des répétitions du dernier concert du groupe le plus populaire et le plus influent de l’histoire du rock. Un documentaire exceptionnel et une plongée inédite dans le quotidien et le processus créatif de quatre garçons dans le vent, ici au bord de la rupture.
En dix ans d’existence, et seulement sept ans d’enregistrement de 1962 à 1969, les Beatles ont enregistré douze albums originaux et composé près de deux-cents chansons, majoritairement écrites par le tandem Lennon/McCartney, dont le succès dans l’histoire de l’industrie discographique reste inégalé. Début 1969, les Beatles ne se sont pas produits sur scène depuis trois ans et leur manager Brian Epstein est mort à trente-trois ans. Rien ne va plus. Installés dans un studio de cinéma, ils ont trois semaines pour créer quatorze nouvelles chansons, enregistrées lors d’un concert filmé. Une équipe de tournage les suit pendant tout le processus. Grâce au travail de Peter Jackson, le spectateur découvre aujourd’hui la genèse, puis pour la première fois l’intégralité, de ce qui est devenu le mythique « concert sur le toit », performance finale des Beatles avant leur séparation un an plus tard.
L’énergie créative des Beatles
A l’époque Lindsay-Hogg, qui avait tourné ce « making off », en avait fait un documentaire annonciateur de la rupture des Beatles. Or, après visionnage des images brutes, c’est un parti pris beaucoup trop sombre et biaisé selon le réalisateur du Seigneur des Anneaux qui propose une contre narration. « On a toujours donné le meilleur de nous-mêmes en étant dos au mur et on continuera » affirme Paul McCartney qu’on entend ici essayer de remotiver le groupe dans cette sorte de « télé-réalité géante» où les caméras et les micros sont « comme des mouches sur le mur » d’après Jackson lui-même. Cette série documentaire en trois parties, dont la durée frise les huit heures, reprend le titre d’origine du projet, mais en prenant le contrepied. Pour Jackson, la réalité est très différente du mythe et l’ambiance n’était pas aussi malsaine qu’on l’a longtemps cru, même si la tension est palpable : George Harrison quitte à un moment le groupe, McCartney dit qu’il a « peur d’être le chef » et la sommes des individualités fortes créent des frictions, mais « ça lit le journal, ça rigole, tout en dessinant sous vos yeux l’Histoire de la musique » !
De fait, le documentaire montre bien quatre musiciens qui restent très amis, collaborant pour faire évoluer chaque composition, créant leur musique dans une ambiance qui s’améliore après le départ des studios de Twickenham pour celui, plus intime, du sous-sol d’Apple Corps et l’arrivée de Billy Preston aux claviers pour les accompagner. D’un point de vue musical, ces séances sont extrêmement fertiles puisqu’on y voit le groupe créer, répéter et enregistrer, outre toutes les chansons de Let It Be, l’essentiel de celles qui figureront dans Abbey Road, et plusieurs morceaux qui apparaîtront sur les albums de Harrison, McCartney et Lennon après la séparation du groupe.
La vie secrète des chansons
Première partie, du 2 au 10 janvier 1969 (2 h 37). Les quatre musiciens sont assis en cercle, Yoko Ono est constamment présente, silencieuse aux côtés de John Lennon. Tous attendent que du matériel d’enregistrement quatre pistes soit apporté à Twickenham. Les répétitions commencent le jeudi 2 janvier 1969. Les Beatles travaillent sur Don’t Let Me Down, Two of Us, et I’ve Got a Feeling. Au piano, Paul McCartney joue Let It Be, The Long and Winding Road, Golden Slumbers, She Came In Through the Bathroom Window, Carry That Weight, Another Day, The Back Seat of My Car. George Harrison propose quant à lui All Things Must Pass, I Me Mine, For You Blue, Old Brown Shoe, Isn’t It a Pity, mais il est de plus en plus irrité. Le groupe retravaille Across the Universe, se penche sur les chansons de Lennon Gimme Some Truth et On The Road to Marrakech qui deviendra Jealous Guy, enfin revisite One After 909. Les paroles et musiques évoluent au fur et à mesure.
Deuxième partie, du 13 au 25 janvier 1969 (2h53).Le groupe continue à travailler les titres supplémentaires Maggie Mae, une chanson traditionnelle de Liverpool, Dig a Pony et For You Blue. Let it Be est également jouée avec Paul au piano, John à la basse six cordes et Billy Preston à l’orgue. Finalement, alors que l’échéance approche, Glyn Johns et Michael Lindsay-Hogg exposent leur idée à Paul McCartney : donner ce concert sur le toit du bâtiment. Ils y montent avec Ringo Starr pour en étudier la faisabilité, conscients du bruit qui sera produit et du risque d’être interrompus par la police. Il leur reste quatre jours pour choisir les chansons de leur album et les finaliser. La date choisie pour cette prestation est le mercredi 29 janvier. En fait, la météo obligera à la repousser d’un jour.
Troisième partie, du 26 au 31 janvier 1969 (2 h 18). Ringo Starr montre au piano sa nouvelle composition à George Harrison : Octopus’s Garden. Il n’a que le début. À coté de lui, avec sa guitare acoustique, son camarade l’aide à avancer en trouvant notamment les accords du pont et la « résolution » de la fin du couplet permettant de repartir sur le suivant. Le groupe continue à répéter avec Billy Preston, avec notamment l’ébauche de I Want You de John Lennon : ils commencent à jouer le thème en déclamant les paroles du discours de Martin Luther King « I have a dream ».
Sur le toit du monde
Le 30 janvier, les discussions pour se décider à faire ce concert se poursuivent jusqu’à la dernière minute, tandis que le matériel est installé sur le toit du bâtiment. Michael Lindsay-Hogg positionne dix caméras, dont une sur le toit de l’immeuble situé de l’autre côté de Saville Row, d’autres dans la rue, plus une dissimulée dans l’entrée de l’immeuble. Finalement vers 12h30, les musiciens s’installent pour une performance devenue célèbre et qui reste la dernière de leur carrière. Mais le concert commence à peine, que deux bobbies arrivent à la porte du bâtiment, entrent et expliquent qu’ils ont reçu « trente plaintes en quelques minutes », et qu’ils devront procéder à des arrestations pour faire cesser le bruit et le trouble à l’ordre public. Toute la séquence est proposée en « splitscreen » avec les différentes prises de vues sur le toit, dans la rue, dans le hall d’Apple Corps.
Fruit de quatre ans de travail, ce documentaire monumental, qui se termine au lendemain de ce concert, est à la hauteur du plus grand phénomène pop du siècle dernier. Il rétablit enfin la vérité sur ce mois de janvier 1969, où la complicité et l’énergie créative des Beatles transparaissent dans des images d’une qualité stupéfiante, qui nous offre le privilège d’assister à l’écriture de chansons mythiques. Immanquable.
Raphaël Moretto
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