François Rebsamen : « Un joyau historique rendu aux Dijonnais »

Depuis 2001, les réalisations estampillées François Rebsamen à Dijon ont été nombreuses. Nous pourrions citer, parmi les plus emblématiques, le Zénith, la piscine olympique, la place de la Libération… libérée des voitures et bus, la piétonisation du cœur de ville, la tramway, et, plus récemment, OnDijon ou encore la métamorphose du musée des Beaux-Arts. A l’instar de l’inauguration de ce phare culturel le 19 mai 2019, l’ancien ministre a décidé que le coup d’envoi de la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin serait l’occasion d’une véritable fête populaire. Il faut dire que cet événement vient conclure un chantier titanesque qui a permis de redonner une nouvelle vie à la friche de l’hôpital général. Et que ce fut, à n’en pas douter, un dossier particulièrement complexe. Le projet a considérablement évolué depuis son origine, lorsque Dijon s’est portée candidate pour être l’une des villes valorisant le Repas gastronomique des Français classé au Patrimoine immatériel de l’Unesco… Dix ans ont été nécessaires pour que naisse la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin. Un nouvel écrin conjuguant architecture contemporaine et patrimoine historique qui vous propose un vaste menu… Le maire et président de Dijon métropole, François Rebsamen, revient sur ce projet dantesque et nous détaille les principaux plats proposés…

Dijon l’Hebdo : On y est, pourrait-on dire ! L’un de vos plus importants chantiers s’achève et l’une de vos plus importantes réalisations ouvre ses portes. Avant d’évoquer le menu de ce que propose cette Cité, revenons à la première graine. Pouvez-vous nous rappeler la genèse de cette idée ?

François Rebsamen : « La Cité internationale de la gastronomie et du vin est un projet formidable, complexe, qui, après un chantier immense de 10 ans, voit le jour aujourd’hui. Ce site est un joyau historique de notre ville rendu aux Dijonnais. Nous faisons de ce qui aurait pu être une friche un lieu de découverte et de partage, de culture, d’apprentissage, d’habitat, de divertissement, de vie, magnifiant l’art gastronomique et viticole français, pour le bonheur des visiteurs et des touristes du monde entier. En novembre 2010, le repas gastronomique des Français obtient son inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de lHumanité, l’Unesco reconnait ainsi la valeur exceptionnelle d’une tradition millénaire : l’art de mettre les petits plats dans les grands, de sélectionner les bons produits, de les accompagner du vin idéal, sans oublier la convivialité qui caractérise le repas festif et les rituels attachés à ces moments importants de notre culture. Avec l’appui de la Mission française pour le patrimoine et les cultures alimentaires, présidée par Jean-Robert Pitte, la France s’engage alors à valoriser le Repas en lançant la création d’un réseau d’équipements dédiés à la gastronomie, pour permettre aux touristes de découvrir cette richesse et aux Français de s’approprier cette dimension essentielle de leur culture. J’ai décidé à cet instant de saisir l’opportunité pour Dijon d’une candidature, nourrie de son identité historique. Notre projet a été sélectionné en juin 2013, pour faire partie d’un réseau des cités de la gastronomie avec Lyon, Paris-Rungis et Tours. La Ville a ensuite confié en 2014 au groupe Eiffage, à l’issue d’un appel à manifestation d’intérêt la mission de faire sortir de terre la Cité internationale de la gastronomie et du vin. Le 4 juillet 2015, les Climats du vignoble de Bourgogne, dont le périmètre englobe le secteur sauvegardé de Dijon, sont inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, une date très significative puisqu’elle acte notre double reconnaissance Unesco. Des années d’un chantier Eiffage remarquable, difficile, le plus grand de France en région, avec majoritairement des entreprises locales et des ouvriers que je tiens à saluer pour leur travail formidable, pour ouvrir aux yeux du monde la Cité internationale de la gastronomie et du vin le 6 mai 2022, une date qui rentre dans l’histoire de notre ville ».

DLH : La longue période nécessaire à sa finalisation vous aura aussi permis de faire considérablement évoluer le projet initial (je pense notamment à la cuisine expérientielle qui n’avait pas été prévue à l’origine). Et le coup d’envoi manqué (pour ne pas dire plus) de la Cité lyonnaise, durant la période du Covid, vous aura également permis d’apprendre des erreurs des autres… Ce fut donc une longue période bénéfique in fine ?

F. R : « Comme en cuisine, rien n’est jamais véritablement figé. Il faut faire preuve d’inventivité, de persévérance, pour mener à bien un projet aussi complexe et long. Avec François Deseille, que je tiens ici à saluer pour le travail remarquable qu’il a accompli (adjoint délégué aux finances et à la Cité internationale de la gastronomie et du vin), j’étais convaincu que notre Cité devait avoir une programmation populaire, de l’interaction, de la participation, de la vie, alliant haute gastronomie, cuisine de tous les jours et découverte de nos traditions et de notre histoire culinaire. Le tout, accessible au plus grand nombre et donc à un prix raisonnable. Après le week-end inaugural, laccès à la Cité internationale de la Gastronomie et du Vin est libre et le visiteur pourra simplement déambuler « en curieux » au 1204 ou visiter la Chapelle Sainte Croix de Jérusalem. Découvrir toutes les expositions de la Cité, déguster des vins, participer à des ateliers culinaires ou viticoles… Il y en a pour tous les goûts et pour tous les budgets ».

DLH : Rien n’a été facile sur ce dossier. Et notamment les recours politiques qui ont entravé son bon déroulement… Pour rester dans la sémantique gastronomique, avez-vous conservé de ces épisodes une amertume ?

F. R : « Une touche d’amertume est parfois intéressante dans un plat, pas pour un maire. Je me bats pour des idées et pour ce que je crois être juste et bénéfique pour les Dijonnais et pour Dijon. C’est ce qui me guide. Un opposant, procédurier, conseiller municipal, a tenté de bloquer la Cité par de nombreux recours juridiques. Je suis resté confiant et serein, tout comme nos partenaires qui ont continué de croire au projet malgré ces difficultés ; in fine, les recours ont tous été rejetés et la Cité internationale de la gastronomie et du vin voit le jour ».

DLH : Rares sont les villes qui peuvent se prévaloir de deux classements Unesco : le Repas gastronomique des Français et les Climats de Bourgogne. Cette Cité en est ainsi désormais le témoin le plus visible. Vous devez en être fier pour Dijon ?

F. R : « En effet, peu de villes peuvent se prévaloir de deux reconnaissances de l’Unesco. C’est une chance et une fierté que nous sommes allés chercher, pour conforter notre positionnement d’incontournable destination internationale du « bien manger », du « bien boire » et du « bien recevoir ». A travers la Cité internationale de la gastronomie et du vin, nous célébrons l’art de vivre à la française, le partage et le vivre ensemble ».

DLH : Vous avez choisi d’innover en ayant recours à un appel à manifestation d’intérêt permettant de confier au groupe Eiffage la mission de faire sortir de terre cette Cité. Ce groupe a investi 250 M€ pendant que le montant des deniers publics investis (Ville de Dijon, métropole, Région et État) ne dépassait pas 20 M€. Autrement dit, vous avez réussi à transformer ce qui pouvait rester longtemps comme une friche hospitalière à moindre coût pour les Dijonnais ?

F. R : « La Cité internationale de la Gastronomie et du Vin est un ensemble composite, avec des intérêts publics et des partenaires privés. Je tiens d’ailleurs à saluer la participation financière de l’État et de la région Bourgogne-Franche-Comté qui nous ont accompagnés au titre du volet culturel. C’est un projet d’une grande cohérence qui s’appuie sur notre identité et nos valeurs d’excellence et d’innovation, met en lumière notre terroir, magnifie notre patrimoine. Nous offrons une seconde vie à des bâtiments édifiés entre le XVe et le XVIIIe siècle, bordés par l’Ouche, avec un espace boisé classé et un écoquartier de 600 logements. C’est une reconstruction de la ville sur elle-même, la réhabilitation d’un quartier entier, avec des logements très bien situés, à proximité du cœur de ville et du tram ; il faut construire en ville pour loger les gens, éviter de s’étendre sur la campagne et les terres agricoles, permettre un accès facile au transport en commun ; c’est un haut lieu de culture, de gastronomie, d’expositions grâce au Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine le « 1204 », d’expériences par les ateliers de dégustation, des boutiques et des commerces de bouche, des restaurants dirigés par le chef 3 étoiles Éric Pras, des cinémas magnifiques et à la pointe… Bref, c’est la métamorphose d’un lieu qui devait être à l’abandon en un phare de l’identité culturelle française et dijonnaise ».

DLH : Vous avez également mis en place un Comité d’orientation stratégique, co-présidé par Jocelyne Pérard et Éric Pras, afin que le projet réponde à la fois aux attentes culturelles, gastronomiques, etc. C’était là aussi une recette du succès de cette Cité…

F. R : « Le Comité́ d’Orientation Stratégique a accompagné́ la genèse du projet culturel de la Cité. Nous l’avons installé, à l’initiative de la Ville, pour garantir la validité́ scientifique des contenus des expositions. Ce comité́ de 35 membres est composé de chercheurs en sciences du goût, en géographie ou en sémiologie, de chefs, viticulteurs ou sommeliers, de conservateurs des bibliothèques, d’hommes et de femmes de l’art, de journalistes, de dirigeants d’entreprises du patrimoine vivant… d’acteurs de notre territoire et de notre pays en lien direct avec la gastronomie, le vin, la science et la recherche, la culture. Jocelyne Pérard, responsable de la chaire Unesco « Culture et traditions du vin », et Éric Pras, chef propriétaire triplement étoilé de la Maison Lameloise à Chagny, en sont les deux co-présidents. Cela traduit notre volonté́ d’inscrire d’emblée la Cité internationale comme une référence pour la valorisation et la promotion de la culture de la vigne et du vin et de la gastronomie ».

DLH : Après avoir réhabilité́ l’Hôtel Dieu de Marseille ou encore érigé la tour D2 et son exo-structure révolutionnaire dans le quartier de la Défense à Courbevoie, Anthony Béchu a métamorphosé l’ancien hôpital général de Dijon. Et son canon de lumière, dont la couleur renvoie aux toitures de Bourgogne, est d’ores et déjà devenu une signature de Dijon. Réussir à concilier la dimension patrimoniale avec une approche contemporaine, tel était l’enjeu ?

F. R : « Anthony Béchu, non seulement architecte de talent, urbaniste et spécialiste du patrimoine, est aussi un passionné de l’histoire et de l’identité des lieux où il travaille. Il a su faire, notamment par ce geste architectural formidable qu’est le canon de lumière, le lien entre la ville, l’histoire du site lui-même et son avenir. Il fallait rouvrir l’espace, enjamber la séparation que représentent les voies de chemins de fer, se projeter vers le cœur historique de Dijon, ses clochers, son patrimoine, son identité. Le canon prend pied au cœur de la Cité, tire sa force de l’histoire des lieux, héberge la prestigieuse école internationale Ferrandi qui verra naître des générations de cuisiniers et de pâtissiers. Il traverse l’esplanade de l’Unesco et s’élance vers le cœur de Dijon. Cette réhabilitation avant-gardiste fait pleinement hommage au passé d’hospitalité du lieu, tout en le projetant résolument vers l’avenir ».

DLH : A quelques pas, rue Monge, à l’Hôtel Bouchu d’Esterno pour être plus précis, vous avez déjà obtenu que l’Organisation internationale de la Vigne et du Vin (OIV) implante son siège. Avec cette Cité elle-même internationale, cela place encore plus Dijon sur la carte mondiale ?

F. R : « Dijon est une métropole viticole et nous avons engagé depuis plusieurs années la reconquête du vignoble dijonnais, avec plus de 300 hectares qui sont en cours d’acquisition. Au Moyen Âge, Dijon était l’épicentre des vins de Bourgogne. C’est bien ici, aux portes de la Cité internationale de la gastronomie et du vin, que démarre la route des grands crus de Bourgogne, traversant ensuite la métropole par le sud, Chenôve et Marsannay-la-Côte. La vigne et le vin sont des éléments forts de l’histoire et de la culture de notre ville et de notre métropole. L’OIV, l’ONU du vin composé de 48 pays membres, a choisi de quitter Paris pour Dijon. C’est non seulement une première pour notre ville d’accueillir une organisation internationale, mais c’est aussi rare pour une ville de « province ». Pour répondre à votre question, oui, avec la Cité internationale de la gastronomie et du vin, avec l’arrivée de l’OIV, avec la reconquête de notre vignoble, nous renforçons encore notre dimension de vitrine mondiale du patrimoine vitivinicole ».

DLH : Les magnifiques cinémas Pathé Gaumont (avec, entre autres, des sièges d’un nouveau genre qui n’ont apparemment jamais été installés ailleurs) vont venir compléter l’offre de cinéma de centre-ville ?

F. R : « Le cinéma exploité par Pathé́ relève tous les défis d’un cinéma du XXIe siècle : projection et son dernier cri, confort optimal, design moderne… Avec ses 9 salles et un grand choix de films pour tous les goûts, il participera au renforcement de l’offre culturelle de centre-ville, en complétant l’offre actuelle et appréciée des Dijonnais ».

DLH : Dans le domaine de la formation, vous avez réussi à implanter l’école Ferrandi, qualifiée comme le Harvard de la Gastronomie. C’est un plus important pour la Cité où un nouveau campus verra le jour ?

F. R : « Ferrandi, c’est une grande école hôtelière, créé il y a 100 ans, un établissement d’enseignement supérieur consulaire de la CCI Paris Île de France qui forme le meilleur de
la gastronomie et du management hôtelier de demain, en France et à l’international. Elle dispense des formations sur 5 campus, dont celui de Dijon, qui ouvre donc avec la Cité internationale de la gastronomie et du vin. L’école est reconnue dans le monde pour déployer l’excellence partout, tout le temps ; elle développe une pédagogie axée sur la maîtrise des fondamentaux, la capacité à innover, l’acquisition de compétences managériales et entrepreneuriales ainsi que la pratique en situation réelle. C’est une chance pour Dijon et pour la Cité d’accueillir un tel lieu de formation, de transmission, de nouveaux étudiants français et étrangers. Ce sont eux qui font la gastronomie de demain, et ils auront appris à Dijon, de surcroit dans un site formidable. Ils seront demain des ambassadeurs de notre ville et de toute la Bourgogne ».

DLH : Le Village gastronomique permettra à tout un chacun de faire ses courses gourmandes. Après les Halles, « le ventre de Dijon », cela peut devenir un nouvel espace pour le « bien manger » et le « bien boire » ?

F. R : « Tous les publics se côtoieront à la Cité pour se cultiver, déguster, se former à la cuisine et à l’œnologie, participer à des masterclass ou conférences, profiter des boutiques, des restaurants… Comme je le disais, c’est un projet d’ensemble complexe et innovant, intégré́ au quotidien de notre ville et de ses habitants. Le Village gastronomique porté par le groupe K-REI s’articule autour de restaurants, de lieux de dégustations originaux, d’une dizaine de boutiques dédiées aux métiers de bouche et aux savoir-faire gastronomiques français : boucherie, poissonnerie, boutique d’ustensiles de cuisine, atelier à moutarde, librairie gourmande… Avec les Halles de Dijon, c’est un nouveau lieu de découverte, pour bien manger, bien boire et bien recevoir.

DLH : « La cuisine, c’est de l’amour et de la générosité », écrivait le grand chef Paul Bocuse. Si vous deviez résumer cette Cité, ne serait-ce pas par cette notion de partage qui vous tient tant à cœur ?

F. R : « C’est de l’amour, de la générosité, du partage, des moments précieux de notre vie et de notre culture française, que le monde entier nous envie et que nous chérirons à la Cité internationale de la gastronomie et du vin, dès le 6 mai ! »

Propos recueillis par Camille Gablo