Nouveau président du Directoire : En bon capitaine, Jérôme Ballet fixe le cap

Les clients particuliers (900 000), les clients professionnels (14 000) comme les clients publics (une collectivité sur deux) de la Caisse d’Epargne de Bourgogne Franche-Comté n’ont aucun souci à se faire. Jérôme Ballet, nouveau président du Directoire de la CEBFC qui a pris ses fonctions, à Dijon, en mai dernier, représente un capitaine d’expérience, particulièrement rompu à l’analyse financière. Comme il le dit lui-même, avec le sourire et une humilité non feinte, « je pourrais vous parler des heures de l’écosystème financier mais je ne suis pas sûr que cela vous passionne ». Capitaine est le qualificatif idoine pour celui qui aime comparer la banque à « un paquebot… » Son cap est fixé : donner une ligne d’horizon au territoire et aux entreprises, en les accompagnant au plus près afin de favoriser leur relance et, de facto, participer à la reprise. La satisfaction client fait partie de son carnet de bord. Tout comme les grands projets « green », dans le sillage du président du groupe BPCE, Laurent Mignon. Après la capitale des Gaules, la capitale des Ducs de Bourgogne hérite ainsi d’un nouveau grand professionnel bancaire. A quelques mois de jeter l’ancre dans son nouveau port durable de Valmy, tout de bois vêtu, la Caisse d’Epargne de Bourgogne Franche-Comté, a tout pour voguer vers de bons résultats.

Dijon l’Hebdo : Quel regard portez-vous sur le rôle de la Caisse d’Epargne lors des 15 mois de crise pandémique qui viennent de s’écouler ?

Jérôme Ballet : « Il faut en premier lieu saluer le rôle de l’Etat. Le « quoi qu’il en coûte » a été quelque chose de positif vis à vis des entreprises. Je trouve également que les banques ont joué leur rôle afin de lutter contre la crise. Que ce soit avec les PGE, ou bien avec les reports d’échéance. En ce qui concerne les PGE, nous avons tout de même mis en place ce produit et engagé le cash pour les entreprises en moins de dix jours. Nous l’avons fait alors que nous sommes une grosse institution, que la réglementation est assez importante, les intervenants nombreux. C’est quand même quelque chose d’exceptionnelle ! Je n’étais pas encore dans cette caisse d’épargne mais toutes ont fonctionné de la même manière. Nous l’avons fait non pas contraints mais en étant très pro-actifs avec les entreprises clientes. Cela s’est plutôt très bien passé, avec en plus des process digitaux et la signature électronique. Autant la crise de 2008 était quand même une crise bancaire, autant c’est l’inverse en ce qui concerne celle-ci. Les banques ont pleinement joué leur rôle et accompagné leurs clients »

DLH : La CEBFC est-elle en ordre de marche afin d’apporter sa pierre à la reprise ?

J. B : « Je pense que, globalement, nous sommes prêts. Quelle sera l’intensité de la reprise et quelle forme prendra-t-elle ? Nous serons de toute façon présents. Les caisses d’épargne sont présentes sur tous les marchés et sur l’ensemble des segments de clientèle – les particuliers, les professionnels, les entreprises, les collectivités territoriales, l’économie sociale et solidaire, les sociétés de HLM, la promotion immobilière… – ce qui n’est pas toujours le cas de toutes les banques coopératives. Ma volonté est, encore plus qu’avant pourrais-je dire, de poursuivre notre développement sur tous les marchés, et d’aider ceux qui ont été frappés par la crise. Il faut être vigilant, car il y aura des difficultés sur certains segments : je pense à l’hôtellerie-restauration, au secteur du tourisme. Il faudra les accompagner. Mais c’est très important d’être présent partout et d’être aux côtés de l’ensemble de ces entreprises. On me pose souvent la question : avec la crise, avec la montée à venir des défaillances que l’on ne voit pas pour l’instant, même si cela bruisse un tout petit peu, ne faut-il pas que les banques se mettent à l’abri, replient un peu la toile… ? Je réponds : non ! Il faut d’abord que l’on joue notre rôle sur la région… Il y aura des défaillances, c’est une évidence, mais je crois que globalement l’écosystème va plutôt bien s’en sortir. Je l’ai dit : il y a eu beaucoup d’argent injecté dans l’économie sur les territoires et je crois, qu’en terme d’économie et de business, globalement nous allons y arriver… C’est mon sentiment ! Nous jouerons notre rôle. Nous sommes prêts … »

 

DLH : La CEBFC a accordé 2713 PGE pour un montant total de 323 M€ et effectué nombre reports d’échéances (6 500 prêts concernés). Votre prédécesseur expliquait que ce soutien massif devait évoluer vers un accompagnement au cas par cas… 

J. B : « Bien-sûr ! Je pense qu’il faut entrer dans la personnalisation. Dans les mêmes secteurs, nous allons assister à des reprises qui seront très différentes, parce que les structures ne sont pas dans le même état en cette sortie de crise, n’ont pas les mêmes effectifs, les mêmes clients, les mêmes charges et coûts etc. Et nous avons déjà été dans la personnalisation avec les entreprises : les chargés d’affaires ont été en relation permanente avec les entreprises pendant la crise et cela se poursuit aujourd’hui. Remboursent-elles ou pas le PGE ? D’ailleurs c’est intéressant car, globalement, nous nous sommes trompés : au début, il y a environ 1 an, nous nous sommes interrogés : va-t-il être remboursé, va-t-il être amorti, que va-t-il devenir ? Nous estimions qu’un tiers allait être remboursé tout de suite, un tiers dans les 3 ans et le dernier tiers plus tard. Nous sommes à moins de 10% de nos clients qui vont le rembourser rapidement. Nous nous sommes trompés parce que nos clients sont très attentistes. Ils se disent qu’ils disposent finalement d’une ressource qui n’est pas très chère. Beaucoup me disent : je pourrais rembourser le PGE mais j’attends de savoir comment va se passer la reprise… Certains se demandent aussi s’ils n’en profitent pas pour se développer, pour investir dans leur outil de production en achetant des machines, en effectuant des opérations de croissance externes comme acquérir d’autres entreprises. Beaucoup ne l’ont pas utilisé finalement mais c’est pour eux une sorte de « trésor de guerre » en attendant de voir comment cela se passe. Beaucoup conservent dans leur trésorerie cette manne de cash qui a été distribuée – 140 milliards d’euros en France – et attendent de voir comment l’utiliser. Cette période qui arrive, entre maintenant et l’année prochaine, sera assez intéressante pour les chefs d’entreprise. Au niveau stratégique, il va se passer des choses importantes dans les entreprises ».

DLH : Certains s’inquiètent d’une remontée des taux d’intérêt. Qu’en pensez-vous ?

J. B : « Pour ma part, je n’y crois pas. Que les taux montent de 10, 15, 20 centimes, en 2, 3 mois, peut-être. Mais je ne crois pas à une augmentation très forte. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, tout cela est régulé par la BCE. On parle effectivement d’inflation en ce moment mais cela n’inquiète pas grand monde en zone €uro. Et je ne suis pas sûr d’ailleurs que cela perdure dans le temps. Ensuite, nous sommes habitués à des taux bas depuis des années. Aussi les clients ne seraient pas appétants à une forte remontée des taux. Je vous donne un exemple : les banques ont fait des crédits aux entreprises à des taux bas autour de 0,6% par exemple, sur une période de 7 ans. Demain, vous retournez voir ces mêmes entreprises en leur disant que ce n’est plus 0,6% mais 1,6%, pour un peu que les structures soient financièrement solides, cela sera compliqué. Je ne crains pas l’augmentation des taux. Un sujet plus structurant, c’est la régulation de la durée et du taux d’endettement envisagée par le HCSF (Haut Conseil à la Sécurité financière) présidé par le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Lemaire. Je pense qu’avec les mesures annoncées les populations les moins aisées et les primo-accédants auront des difficultés à emprunter.

 

DLH : Une autre question alimente depuis déjà de nombreux mois les conversations. C’est celle de l’annulation de la dette. Pensez-vous que l’on soit là dans le domaine de l’utopie ?

J. B : « Tout le monde dit : l’effacement de la dette publique n’arrivera jamais, sauf que l’on en parle de plus en plus. A partir du moment où cela alimente nombre de conversations, je me dis qu’il y a quand même un sujet, même si personnellement et économiquement, je ne trouve pas cela vertueux. Après, au niveau européen, cela va être quand même compliqué : convaincre l’Allemagne, « les Pays du Nord contre, entre guillemets s’entend, les pays du Sud ». Le vrai sujet, c’est comment on rembourse la dette ? Que fait-on de cette dette ? Et on ne sait pas non plus qui va la régler ? Ni quand… »

DLH : La CEBFC s’est évidemment adaptée très rapidement à la situation sanitaire. Où en êtes-vous aujourd’hui en ce qui concerne le télétravail ?

J. B : « Il faut bien distinguer chez nous le siège et le réseau d’agences. Il faut souligner que ce dernier a été ouvert durant toute la période de crise sanitaire pour répondre aux besoins de nos clients. Nos collaborateurs sont venus tous les jours avec des process certes spécifiques mais il faut le rappeler. En ce qui concerne, les fonctions supports au siège, nous étions globalement sur une journée de présentiel par semaine. Nous allons monter très prochainement à deux… Après, dans un retour à la normal – même si l’on ne sait plus aujourd’hui ce qui est un monde normal –, bien entendu le télétravail sera un sujet pérenne. Lors des derniers recrutements que j’ai pu effectuer, dans la discussion, nécessairement à un moment ou un autre, il est question de télétravail, et notamment chez les jeunes. Et je pense qu’en terme de marque-employeur et d’attractivité, vous ne pouvez plus y échapper aujourd’hui. C’est une évidence. A titre personnel, je ne suis pas un adepte car j’ai besoin de voir du monde, être dans un environnement de travail, mais je suis pour le télétravail et c’est un phénomène qui va perdurer. Maintenant, ses conséquences et ses impacts sont nombreux. Manager à distance une équipe, c’est différent. Et même pour le collaborateur qui télétravaille, les repères ne sont pas les mêmes. Il y a tout un chemin à repenser par rapport à cela… »

 

DLH : Vous aurez à piloter le déménagement au sein de votre nouveau siège révolutionnaire à plus d’un titre : que ce soit, avec sa structure architecturale en bois, en matière de développement durable mais aussi en terme de nouvelle façon de travailler. C’est une étape importante…

J. B : « Les visites de notre futur siège rencontrent un véritable succès. C’est un phare pour le territoire et, pour moi, ce nouveau siège représente un formidable vecteur de transformation interne. C’est quand on change de bureau, de cadre, que l’on est plus appétant à modifier nos habitudes, à travailler différemment. Nous serons dans des espaces beaucoup plus ouverts. Alors, certes, nous aurons beaucoup d’avantages, mais quelques inconvénients – le bruit… Mais je n’ai aucun doute sur le fait que nous utiliserons ce siège pour être encore plus performants, en terme d’échange entre nous, de communication… Je l’ai pratiqué à Lyon. Nous avons déménagé dans la grande tour Incity et nous étions passés de 40 % de bureaux individuels à 6 ou 7%. Les managers qui perdaient leur bureau s’interrogeaient avant le déménagement, mais nous n’avons pas eu une seule réclamation. Finalement ils étaient au milieu de leurs équipes et cela s’est très bien passé. Et nous avons profité de cette opportunité pour passer au zéro papier. Nous avions diminué les armoires par 3 ou par 4. Nous avions réduit la consommation papier de 66%. Ce sont des exemples, mais c’est lorsque l’on arrive dans un nouvel environnement que l’on est dans les meilleures conditions pour évoluer ».

DLH : Votre futur siège sera une vitrine écologique mais votre caisse est omniprésente sur nombre d’autres projets durables sur tout le territoire, à l’image de l’hydrogène vert ou encore Odivea sur la métropole dijonnaise. Peut-on dire que la CEBFC est passée au… vert ?

J. B : « Au-delà des convictions personnelles que l’on peut avoir, il faudra que nous le fassions et nous le souhaitons. Vous savez, j’ai cinq filles de 14 à 26 ans. Et l’écologie est au cœur de leurs préoccupations. Dans leurs achats, dans leur mode de consommation, à un moment ou un autre, l’aspect green et transition écologique apparaît. Concernant la CEBFC, nous avons nombre de sujets dont la conquête de la clientèle de jeunes. Ensuite, nous voulons aussi rajeunir notre sociétariat, qui, comme pour toute la société, est vieillissant. La conquête des jeunes et le rajeunissement de notre sociétariat passera inévitablement par cette nouvelle dynamique et la prise en compte de l’importance de l’écologie. Deuxième élément important, il existe un plan stratégique RSE et Green au niveau du groupe et c’est quelque chose de très fort dans l’esprit du président Laurent Mignon. C’est l’un des dirigeants bancaires en France le plus à la pointe dans le domaine. Nous sommes des acteurs majeurs du financement de projets à énergie renouvelable. Le groupe a mobilisé un fonds d’1,5 milliard et la Caisse d’Epargne de Bourgogne Franche-Comté 100 M€ pour financer tous les projets dans ce domaine, tout ce qui est éolien, etc. Il y a vraiment une tendance de fond et celle-ci va s’accentuer. Que ce soit par conviction pour la préservation de la planète – ou parce que c’est aussi la tendance de fond de nos clients. On pourrait ainsi dire : on n’a pas le choix même si c’est un choix qui me va très bien ! »

 

DLH : Malgré la crise, la CEBFC a réussi à obtenir un résultat net pratiquement identique à celui de l’année précédente (65,5 M€). Comment expliquez-vous ces excellents résultats ?

J. B : « Il y a plusieurs raisons. Comme je le disais précédemment, le fait d’être présent sur tous les segments de marché permet une diversification des risques qui entraîne une solidité financière. Nous avons aussi un nombre de clients important. Après, sur les résultats, je relativise toujours. Une banque, c’est comme un paquebot. Lorsque l’on débute l’année, nous avons tout de même des milliards de crédits en stock qui génèrent des intérêts. Ce que je veux dire, c’est que nous avons des résultats récurrents. Après, il faut faire attention. Finalement notre chiffre d’affaires est relativement linéaire. Mais il faut toujours être vigilant car je souhaite que sa courbe progresse évidemment plutôt que l’inverse. Il faut savoir que dans notre chiffre d’affaires qui est un Produit Net Bancaire, nous avons principalement deux éléments : la marge nette d’intérêt, soit l’effet produit des crédits moins le coût de l’épargne, et celui-ci ne fait que baisser depuis des années par la baisse des taux des crédits principalement, et nous avons les commissions. Pour se développer, celles-ci ne reposent que sur le conseil et les services que l’on apporte aux clients. Afin de continuer d’avoir un chiffre d’affaires qui progresse, notamment par les commissions, la satisfaction client est essentielle. Aussi devons-nous développer la pro-activité avec le client, la qualité de réponse apportée, la fluidité des parcours, la rapidité des réponses… C’est ce que l’on appelle le « parcours sans couture ». Et c’est ce qui fera la différence ! Le client, qu’il soit un particulier ou un professionnel, ne veut pas de stress, il souhaite être rassuré… Je prends un exemple : le crédit immobilier. C’est rare qu’il en est besoin du jour même pour la semaine prochaine. Ce que souhaite le client, c’est deux choses, c’est obtenir une réponse rapide lorsqu’il effectue sa demande. Ensuite, il veut que le cash, les fonds soient là le jour où il va signer chez le notaire. Longtemps dans les banques, il signait et, après, il n’avait plus de nouvelles et il était obligé d’appeler. Tout le travail que l’on a fait et que l’on continue à faire est de prévenir notre client à chaque instant, à chaque moment important du crédit. Cela ne concerne pas uniquement le travail des commerciaux en agence mais c’est le travail de toute la Caisse d’Epargne. Nous sommes tous orientés clients…».

DLH : Vous êtes là depuis peu mais quelle différence vous a d’ores et déjà marqué entre la région Rhône-Alpes, d’où vous arrivez, et la Bourgogne Franche-Comté ?

J. B : « On m’a beaucoup dit : tu vas voir, ce n’est pas le même territoire. La principale différence réside dans le fait qu’en Rhône-Alpes il n’y avait pas que Lyon comme métropole très active sur le territoire. Il y avait aussi Annecy, Grenoble, tout le pourtour de Genève où il se passe beaucoup de choses, en terme d’immobilier, d’international pour les entreprises… C’était un territoire avec nombre de pôles d’attractivité différents. Je le ressens moins dans cette région beaucoup plus rurale. Même s’il y a aussi de l’activité sur Besançon et ailleurs… la prégnance de Dijon est manifeste ! Mais nous avons plein de choses à faire tout de même partout sur le territoire ! »  

Propos recueillis par Camille Gablo

 

Une très belle ascension

Depuis le 1er mai dernier, Jérôme Ballet est le nouvel homme fort de la Caisse d’Epargne de Bourgogne Franche-Comté. Ce banquier d’expérience, âgé de 56 ans, qui, précédemment s’était illustré au sein de la Caisse d’Epargne de Rhône-Alpes (où il était membre du Directoire en charge de différents pôles (finances, exploitation, immobilier, etc.), a été nommé par le conseil d’orientation et de surveillance pour succéder à Jean-Pierre Deramecourt à la présidence du Directoire de la CEBFC. Depuis ses premiers pas professionnels en 1990 dans un cabinet de commissariat aux comptes (Mazars & Guérard), Jérôme Ballet n’a eu de cesse de gravir les échelons dans le monde bancaire. Il est, notamment, passé par la Banque de Financement et de Trésorerie (1994), la Banque Populaire Val de France (2000) avant, trois ans plus tard, d’entamer son parcours au sein de la Caisse d’Epargne – c’était en Lorraine – comme directeur financier. Il fut ensuite nommé en 2008 membre du Directoire en charge des finances et de l’activité commerciale de la banque du développement régional de la Caisse d’Epargne Loire-Drôme-Ardèche, qu’il quittera en 2012 pour rejoindre la Caisse d’Epargne Rhône-Alpes et la capitale des Gaules. La suite, il l’écrira désormais dans la capitale des Ducs et son parcours (son ascension !) prouve que l’on peut exercer les plus hautes responsabilités dans l’univers bancaire après avoir effectué une licence de biochimie. Pour être tout à fait juste dans notre portrait, il est aussi titulaire tout de même d’un diplôme d’ESG (Ecole de commerce)…