Chaque région a la sienne, chaque artisan a sa recette et chaque famille a ses secrets de fabrication transmis de génération en génération. Les terrines font partie des produits phares de notre gastronomie. Elles sont consommés depuis l’Antiquité et sont devenues des aliments emblématiques de notre terroir. Et comme l’explique Christian Le Meur, « on est en plein dans les circuits courts ».
Depuis qu’il a pris sa retraite de libraire d’ancien à Dijon, Christian Le Meur ne cesse d’arpenter les chemins où la fraternité sert de boussole à l’aventure culinaire. Avec sa moustache d’arquebusier, l’oeil brillant et le sourire acéré, le teint fleuri par la bonne chère, toujours très sage, on dirait un vieux loup de mer. Mais son océan à lui, c’est sa cuisine, un « saint des saints » où ce chercheur pas comme les autres, à la voix douce et au verbe incisif, mènent des expériences qui aboutissent dans l’assiette. Et la dernière en date, ce sont 24 pots de terrine de chevreuil de 350 grammes chacune. Deux jours d’un travail appliqué pour dénerver, couper en morceau, mouliner, peser et faire cuire. « Ce qui est important, c’est l’assaisonnement et notamment la trilogie alicamentaire : oignon, ail et échalotte qui vont apporter du caractère. La saveur est une question de savoir-faire, de patience et de tourne-main » précise-t-il avec la gravité qui convient.
Et ces terrines de chevreuil qui viennent tout juste d’être mises dans des pots stérilisés pendant deux heures, Christian Le Meur les a confectionnées aux griottes de Haute-Saône. Encore des produits locaux… A l’écouter, on a l’impression que tout devient simple, facile à faire. Et on découvre que dans une terrine, on peut mettre de tout, même des fruits ! « Si c’est du sanglier, je prends du raisin sec que je fais gonfler toute une nuit dans du marc de Bourgogne. Le goût est exceptionnel ! »
Dans la cuisine de Christian Le Meur, cerf, chevreuil, sanglier, faisans, perdreaux, pigeons et canards se succèdent au fil des saisons et des parties de chasse. Et tout ne finit pas en terrines. Le cuisseau de sanglier va mijoter avec des griottes, le carré de sanglier, il va le faire au chocolat, le filet de cerf, il le mangera rossini avec une tranche de foie gras… Sur la chasse, il est intarissable. « C’est un des rares lieux où il n’y a pas de fracture sociale. Dans une société de chasse, on trouve toutes les couches de la société. Ce qui prévaut, c’est la passion commune » explique Christian Le Meur qui s’empresse d’ajouter : « Sans nous l’équilibre de la faune serait rompu et la nature en danger. Cette parfaite connaissance de la nature permet au chasseur de ne pas être un spectateur mais un acteur de la biodiversité. La chasse est inhérente à l’homme, cette tradition se transmet de génération en génération depuis la Genèse. Des récits du marquis de Foudras à Henri Vincenot en passant par Bombonel pour ne citer que des Bourguignons, ne sont qu’émotion, partage et convivialité. On nous parle de fracture sociale, elle n’existe pas à la chasse. Certes le prix des fusils diffère mais le partage, je dirais même la communion qui anime les chasseurs le jour de l’ouverture gomme ces détails mercantiles. Plongez-vous dans la lecture d’un de ces ouvrages, de Xénophon à Nicolas Vannier, ce ne sont que des tranches de vie intenses, des moments de contact avec la nature parfois rude, parfois éblouissante et relisez Buffon : « La nature est le trône extérieur de la magnifique divine ; l’homme qui la contemple, qui l’étudie s’élève par degrés au trône intérieur de la toute puissance ». Et pour appuyer son propos, il sort de sa bibliothèque quelques éditions originales du 19e siècle comme « Le Grand dictionnaire de cuisine » d’Alexandre Dumas, « La Cuisine classique » d’Urbain Dubois, « Le Vivre à table » de Châtillon-Plessis, ou encore « Physiologie du goût » de Brillat-Savarin… Des lectures qui sont autant de pavés de bonheur dans la mare de nos menus moroses. J-L. P