La Révolution française a réinventé le concept d’armée de citoyens que pratiquaient dans l’antiquité les cités grecques et Rome dans les premiers temps de la République. Mais, progressivement, afin de compléter les légions de citoyens, les romains eurent recours à des mercenaires étrangers, spécialisés dans leur domaine comme les frondeurs des Baléares ou les cavaliers germains si utiles à César lors de la Guerre des Gaules. Au fil du temps l’armée romaine en vint à être essentiellement composée d’étrangers, en particulier de Goths, ce qui au demeurant fut vraisemblablement une des multiples origines de l’effondrement de l’Empire.
Du Moyen-Âge au XVIIIe siècle, les armées en Occident étaient composées, outre des nobles dont c’était la vocation, le métier, et parfois aussi le loisir, de mercenaires, c’est à dire de professionnels qui avaient choisi le métier des armes.
Ils se vendaient au plus offrant n’hésitant pas à défaut de paiement de leur solde (d’où le nom de soldat) à changer de camp juste avant, ou parfois même au cours, d’une bataille.
Ces mercenaires, parfaitement organisés, étaient d’une efficacité redoutable ; plus recherchés ont longtemps été les Suisses puis les Allemands, les Lansquenets, restés tristement célèbres par le sac de Rome en 1527.
Ces guerriers professionnels sévissaient également en Espagne et surtout en Italie sous l’autorité de condottieres, dont certains réussir à conquérir puis à gouverner des États comme Francesco Sforza à Milan.
La Guerre de Cent Ans vit leur prolifération, et dans les intervalles de paix, privés d’emplois, et donc de soldes, ils s’organisèrent en bandes, les Grandes Compagnies, qui pillèrent les pays, rançonnant et terrorisant les paysans. Devenues un véritable fléau en France, Charles V chargea du Guesclin d’en conduire certaines en Espagne au prétexte d’une croisade contre l’émirat de Grenade, en fait pour régler un conflit de succession en Castille.
L’apogée des mercenaires fut peut-être au XVIIe siècle avec la Guerre de Trente Ans qui ravagea l’Europe centrale jusqu’à la signature des traités de Westphalie. On vit alors des entrepreneurs de guerre payés par les puissances européennes pour lever de véritables armées. Certains d’entre eux furent parfois plus puissants que leurs commanditaires, tel Wallenstein ; Gallas, un de ses généraux, ravagea la plaine de la Saône après la résistance de Saint-Jean-de-Losne.
Et puis, comment ne pas évoquer au XVIIIe siècle, Maurice de Saxe, qui comme son nom l’indique n’était pas français, mais combattit victorieusement pour Louis XV, notamment à Fontenoy (Rappelez-vous « Messieurs les Anglais, tirez les premiers »).
La récompense de ses exploits fut à la hauteur de ceux-ci, le roi lui offrit le château de Chambord et ses dépendances. On constate que le métier, certes à risque, était fort rémunérateur.
Les rois de France instaurèrent, dès le XVIe siècle, la coutume de confier leur garde rapprochée aux Suisses. Leur dévouement extrême trouva son expression la plus complète lorsqu’ils furent massacrés le 10 août 1792 en défendant le Palais des Tuileries assiégé par les insurgés parisiens.
Avec les guerres révolutionnaires s’opère un changement profond dans le recrutement. La France, devant les risques d’invasion, va créer le concept d’armée nationale composée de citoyens volontaires mais surtout alimentée par la conscription, rendue célèbre par les Soldats de l’An II, et qui sera la colonne vertébrale des armées impériales.
Les armées nationales seront le modèle dominant aux XIXe et XXe siècles.
Au XXIe siècle va apparaître un double phénomène qui aura des conséquences sur la composition des armées : d’une part, la fin dans de nombreux états de la conscription et, d’autre part, le souhait des principales puissances de ne pas s’engager, directement et ouvertement, dans des conflits extérieurs qui ne mettent pas en péril leur existence.
Cette situation va tout d’abord apparaître en Afghanistan, puis en Irak, après le désengagement des troupes américaines. Les Etats-Unis désirant conserver le contrôle militaire de ces pays, des entreprises militaires privées, et parmi elles la plus célèbre, Black Water, vont suppléer les troupes régulières.
Nul n’ignore que le Groupe Wagner est une milice privée qui est intervenue pour le compte de la Russie, en Ukraine tout d’abord, et intervient en Syrie et en Afrique centrale. Son action actuellement en Libye est particulièrement intéressante à observer car elle est en contradiction avec la ligne politique du Kremlin, ce qui permet à la Russie d’avoir un pied dans chaque camps, lui donnant l’assurance d’être, quoi qu’il arrive dans celui du vainqueur !
Plus récemment, la Turquie a mis en place une société militaire privée, SADAT, qui opère indirectement pour son compte en Libye également.
Ces stratégies rappellent aux gens de ma génération « Bob » Denard, mercenaire français qui eut ses heures de gloire dans les années 60 au Katanga et au Congo, puis ensuite aux Comores. C’était un baroudeur, mais c’était surtout un amateur comparé aux puissantes sociétés militaires privées qui viennent d’être évoquées.
Puissent-elles ne pas échapper un jour à leurs commanditaires afin que les pays où ils sévissent ne revivent pas « Les Grandes Misères de la guerre » mises en images par Jacques Callot lors de la Guerre de Trente Ans.
Yves Amphoux