« Tenue correcte » épinglée : la société s’effiloche

Il y a plusieurs façons d’observer la rentrée 2020. Le point de vue pessimiste : le Covid-19 fait de la résistance – pas de quoi rêver en cour de récréation. Ou grand angle : les outrances d’une société qui déniche sa façon de vivre au rayon de la Grande Friperie ! Tout est en effet parti du lycée Borda de Dax : sur un compte Instagram (@borda_revolte), une jeune fille a lancé l’énième mouvement féministe incitant à s’habiller selon son désir, quelles que soient les circonstances. L’idée lui en est venue après avoir pris connaissance de l’affiche apposée à l’entrée de l’établissement : « Tenue correcte exigée ». La mise-en-garde était assortie d’une photo de gauche – un mini-top ; et d’une photo de droite – une mini-jupe. Les images étant rayées d’une croix rouge.

Le message était explicite : pas question de porter ce genre de tenue. La riposte côté potaches n’a pas fait un pli. A vous d’en apprécier la syntaxe malhabile: « Ils nous sexualisent alors que nous nous habillons seulement par la chaleur, nous devrions porter un pull pour leur faire plaisir ? Devrions-nous porter 3 couches de vêtements pour que cela ne dérange pas leurs yeux si fragiles ? » (sic)

Aujourd’hui, une simple virgule suffit donc à allumer le feu : la contestation a pris de l’ampleur, déclenchant une deuxième vague sur TikTok. Le staff administratif du lycée a cru pouvoir jouer les pompiers en rencontrant le groupe de lycéennes dissidentes. On croit rêver… Se sont hissées sur la scène de la révolte la chanteuse Angèle via sa story Instagram, les irresponsables de l’association « Nous Toutes » ainsi que Marlène Schiappa, dont on peut dire que les décolletés sont plus profonds que le champ de sa réflexion. On l’a compris : nous voilà face à une affaire d’Etat. Laquelle n’a qu’un mérite : montrer un corps social mentalement en guenilles, tout comme le manque de retenue de la part de la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté. Déjà il se fait tard : sommes-nous tombés si bas ?

Certes, on peut adorer se standardiser en jean, shorts, baskets ou tongs, sans ignorer pour autant que les codes vestimentaires ont été, et sont à peine encore des éléments structurants de la société. Dès la Préhistoire, la peau de bête faisait le moine de Cro-Magnon. Une spécificité dans la manière de se vêtir selon sa fonction s’est vite instaurée au sein de ces petites peuplades, établissant une séparation entre les différentes sphères : pouvoir politique, domaine des armes, champ du sacré ou du religieux, voire, bien sûr, l’une des toutes premières manifestations culturelles tel que le pré-théâtre. L’armure du guerrier tout comme le costume du comédien ont longtemps hissé l’un et l’autre au-delà de la condition humaine, à mi-chemin entre le monde des hommes et celui de l’Olympe.

Jusque dans les années 1970/80, la spécificité dans la façon de se vêtir rythmait les passages de l’enfance à l’adolescence, puis à l’âge adulte. Codes et conventions vestimentaires jouaient les horloges des vies : temps de joie, de fête ou de deuil, périodes dédiées au travail dans les champs, à l’usine ou au bureau… Ah ! Les fameux « bleus de travail » du monde ouvrier. Décryptés, décousus à l’aune de la sociologie, toute vêture signalait la classe sociale d’un individu à cent lieues à la ronde, quitte à n’en faire hélas que sa carte d’identité : les Sans-Culottes du Tiers-Etat, les manants et leurs biaudes, les gens d’armes et leurs uniformes, le clergé et ses soutanes etc…

Aujourd’hui, on assiste à l’abolition de ces codes vestimentaires, à une absence de frontières entre la sphère publique et celle de l’intimité ou entre le lieu de travail, la détente ainsi que les loisirs à la plage ! Reste toutefois le fossé entre un jean chic Armani et celui acheté en hypermarché ! Le Diable s’habille toujours en Prada. Et pourquoi pas d’ailleurs ? Il n’en ressort pas moins que fréquenter le lycée en short ou en tenue débraillée, se mettre le nombril à l’air et les seins à tout vent, c’est présenter orbi et urbi les charmes intimes de sa personne, ou a contrario infliger à la face du monde une plastique éloignée d’un Watteau ou d’un Fujita. Les fausses oies blanches ne manqueront pas de s’indigner des regards lourdement insistants sur leur popotin par la gent masculine… Le laisser-aller vestimentaire en dit long sur le délitement d’une société qui s’offusque qu’on lui impose la moindre limite, toue en nous alertant sur la néantisation d’un patrimoine sociétal. Le monopole exercé par les jeans, les leggins, les t-shirts, les shorts ou les baskets dans toutes les circonstances de l’existence décravate la société. Attention de ne pas glisser vers la prochaine dérive : déjà se profile à l’horizon le troc du vouvoiement pour le tutoiement généralisé!

Marie-France Poirier