Si la rentrée vous semble un peu triste ou convenue, n’hésitez pas à vous plonger dans les contrées imaginaires de l’Eldorado, cinéma qui a l’excellente idée de nous faire (re)découvrir l’œuvre « assez largement inconnue », voire longtemps invisible de Jean-Daniel Pollet.
En 1957, alors que Claude Chabrol tourne Le beau Serge, manifeste inaugural de la Nouvelle Vague, Jean-Daniel Pollet est assistant réalisateur de la vieille école, sur L’homme à l’imperméable de Julien Duvivier, avec Fernandel. Ce n’est qu’un an plus tard, dans le cadre de son service national, que ce fils de grand bourgeois lillois passé par Science Po, réalise son premier court-métrage Pourvu qu’on ait l’ivresse, avec celui qui deviendra son acteur-fétiche Claude Melki : dans un dancing, un jeune homme timide observe les jolies filles. Il cherche à se donner une contenance, enviant l’audace des autres garçons. Un mariage arrive, l’ambiance tourne au cotillon. Le jeune homme met un masque (oui, déjà) et demande à la mariée de lui accorder une danse …
Dans la foulée, avec de l’argent personnel et sans autorisation du CNC, Pollet entreprend La ligne de mire (1959) avec Pierre Assier, Claude Melki, Pierre Jourdan et Edith Scob : après avoir sillonné les routes avec sa guitare, un musicien retourne au château de son enfance, où il croise amis désœuvrés. Invisible pendant plus de cinquante ans, La ligne de mire est devenu mythique. Le film, qui compte parmi les premiers longs métrages de la Nouvelle Vague, se fait descendre en flammes par les rares personnes qui assistent à l’unique projection, ce qui fait dire à son auteur : « Je suis devenu l’exemple type de ce que l’on a pu reprocher à la Nouvelle Vague c’est-à-dire l’incompétence technique, la prétention… En fait, c’est peut-être un peu vrai ! »
Radical, Jean-Daniel Pollet décide tout simplement d’interdire son film. Pourtant, Jean-Luc Godard écrivait, en mars 1959, dans Les Cahiers du cinéma : « Quand Orson Welles tourna Citizen Kane, il avait vingt-cinq ans. Depuis, tous les jeunes cinéastes du monde ont rêvé de faire leur premier grand film avant d’avoir dépassé cet âge. Jean-Daniel Pollet sera le premier à réaliser ce rêve. À vingt-trois ans, il est à la fois le scénariste et le metteur en scène de La Ligne de mire. Les personnages du film sont évidemment en quête d’un auteur comme les six de Pirandello. Pourquoi ? Parce que Pollet laisse à ses acteurs la plus extrême liberté. Pourquoi encore ? Pour renverser la théorie de Diderot, et faire du paradoxe du comédien, celui plus cinématographique, et donc plus émouvant, du personnage. Devant tout ce petit ou ce grand monde qui s’agite, Pollet se contente d’être, à l’œilleton, à l’affût de la poésie. »
Le réalisateur fait ensuite partie de l’aventure collective Paris vu par… en 1965, à côté de Rohmer, Chabrol ou encore Godard ! Il signe le segment « Rue Saint-Denis » sur le passage à l’acte sans cesse différé d’un jeune timide (toujours Melki) qui a fait monter chez lui une prostituée.
En 1965, Pollet met en scène Une balle au cœur, tragédie de la solitude en Sicile et en Grèce, dont la chanteuse Françoise Hardy est l’interprète avec Sami Frey. Le cinéaste filme comme un peintre peint, mais la beauté, le lyrisme, le sens du tragique, l’amour des pays méditerranéens ne seront pas appréciés du public de l’époque, attiré surtout par la jeune chanteuse.
Si JDP réalise ensuite le mélancolique Tu imagines Robinson (1968), très librement inspiré du roman de Daniel Defoe, il est surtout connu pour ses comédies L’amour c’est gai, l’amour c’est triste (1971) et L’acrobate (1976). On lui doit également des films-essais inspirés des écrits du poète Francis Ponge comme Dieu sait quoi (1997). Sa vie est marquée par un accident de la route en 1989 qui le diminue physiquement. Il meurt en 2004 à 68 ans.
« Étranger à la notion de direction d’acteurs, il n’intervient pas plus sur les élans boulevardiers de Jean-Pierre Marielle, Guy Marchand ou Micheline Dax que sur la parole déchirante du lépreux Raimondakis, mais règle leur position dans la surface de l’image. La caméra impulse l’énergie du ballet des corps autant qu’elle s’en nourrit, qu’elle suive Melki l’acrobate dans son accession à la grâce, ou les hippies du Sang dans le mouvement perpétuel de leur trajectoire vers le rivage. » (Damien Bertrand, La Cinémathèque)
Une œuvre unique, mélancolique et poétique à revoir d’urgence, avec ou sans masque.
Raphaël MORETTO
À lire
La Vie retrouvée de Jean-Daniel Pollet
« Autobiographie » de Jean-Daniel Pollet par Jean-Paul Fargier (384 pages – mars 2020).
À voir
Édition de 12 livres-DVD
Méditerranée / Bassae – Une balle au cœur – Le Horla – Tu imagines Robinson – L’Amour c’est gai l’amour c’est triste – Le Sang – L’Ordre / Pour mémoire (La Forge) – L’Acrobate – Contretemps – Trois jours en Grèce – Dieu sait quoi – Jour après jour.
https://www.editionsdeloeil.com/
Cycle de 10 films au Cinéma Eldorado