Mascarade présidentielle

Pour nos politiques, gouverner revient toujours à mobiliser des mythes, à investir des récits légendaires, à se mettre en scène, parfois à leur corps défendant. Quand ces politiques l’oublient, le chercheur est là pour le leur rappeler. Petite démonstration…

Une lecture symbolique de l’actualité invite à un pas de côté offrant des perspectives décentrées. Cette lecture est d’autant plus précieuse quand cette actualité est historique.

« Lecture symbolique » ? Il s’agit d’analyser les événements en convoquant les ressources de l’étymologie, de la mythologie, de l’histoire, des religions, entre autres. Grands personnages et dates marquantes, révélatrice origine des mots ou corrélations historiques s’avèrent précieuses pour éclairer notre quotidien d’une autre lumière. Ce fonds culturel foisonnant permet de révéler la densité des événements constituant la matière première de BFM et consorts. Qui en a conscience ?

En ce temps post-pascal « covidisé » et chargé politiquement, nous percevons un intéressant téléscopage de symboles.

Première application, avec une petite lecture biblique et allégorique du Covid19. Lors de la Cène, on se souvient que Judas est tenu à… bonne distance, au bout de la table. Une méfiance pèse sur lui. On sentait qu’il fallait qu’il reste à l’écart. En s’approchant de Jésus et en l’embrassant, il trahit le Christ par un contact (très) rapproché et précipite son destin tragique. Se méfier des « ex-proches » un peu trop proches pour être honnêtes… Quant à Ponce Pilate, dans un geste éloquent que notre époque approuverait sur la forme, il s’affranchit de tout cela en… se lavant les mains ! Honorable sanitairement, piteux moralement.

Autre domaine de prédilection de notre lecture symbolique de l’actualité : la politique. En effet, rappelons-nous que le Pouvoir existe avant tout « sur scènes », via ses apparitions incessantes. Jadis lors de cérémonies royales fastueuses, désormais, plus prosaïquement, lors des interventions calibrées par les « communicants » pour les chaines d’info en continu. Cela donne des choses plus ou moins crédibles Et le truc finalement, c’est comme avec les marionnettes des enfants : il ne faut pas que les ficelles soient trop grosses. La différence est subtile, entre se produire en public et se donner en spectacle. Et quand les commentateurs et l’opinion considèrent que c’était « un coup de com », pas bon, et même contre-productif, en termes d’image…

Eh oui ! La politique se déploie en un théâtre (avec tribunes, estrades, décorum…), mettant en scène une économie symbolique à part entière. Un anthropologue célèbre, Georges Balandier, évoqua même la « théâtrocratie », pour qualifier ce tribut quotidien que les institutions payent à la théâtralité.

Son avenir politique, si on le rêve historique, on l’envisage souvent en regardant dans le rétroviseur. Et difficile d’écrire un destin politique sans tenter d’endosser les vêtements de ceux qui ont précédé et ouvert la voie. Napoléon, Churchill, de Gaulle, Kennedy ont laissé des costumes « taillés sur démesure, » parfois un peu grands. En attendant on peut se déguiser en militaire, en aviateur, en infirmier, en vacancier, en jeune, etc, pour « faire sens », à un moment donné, et en fonction de l’actualité.

Venons en (aucun art de la transition !) à Emmanuel Macron. Il adore les jolis costumes autant que les symboles. En cette période où est invoquée « l’union nationale », le Président doit être étymologiquement « symbolique », c’est-à-dire en grec : « qui réunit, qui rassemble ». Le contraire serait ennuyeux, l’antonyme de « symbolique » étant « diabolique », « qui divise, sépare ». Notons au passage que son prénom signifie « Dieu avec nous », donc être diabolique, très peu pour lui, sinon gare à « l’enfer du décor » !

Diabolique, son « et en même temps » ? En tout cas il pose sinon problème du moins question. Attention au « en même temps » qui peut être ramené à ce qu’on appelle des « injonctions paradoxales » : ce sont des ordres contradictoires pouvant mener à la schizophrénie ! En substance, faites ce que je vous dire de faire… alors que je montre que je fais moi-même l’inverse ! Gare, à terme, au « retour du refoulé »…

En tout cas, il y a quelques jours, en une belle scénographie, E. Macron a fait fi du confinement et de toutes les recommandations de distanciation, pour aller prendre un quasi-bain de foule à Pantin (nous ne voyons aucun lien entre le nom de la ville choisie et le théâtre de marionnettes évoqué plus haut, précisons-le). Il apparut sans masque et… proche des personnes venant à sa rencontre. Quelle intrépidité… Il aurait presque pu, si le contact avec été autorisé, mimer ces rois de la France de l’Ancien Régime, dits « thaumaturges », qui guérissaient leurs sujets par simple apposition des mains. Mais cette fois-ci, vraiment, contact physique interdit. On touche du doigt (si l’on peut dire) les limites de l’exercice… En tout cas, s’affranchir ainsi des règles sanitaires imposées à tous, c’est se penser immortel, inaccessible à la maladie, inatteignable par le virus. Trop fort ! Et peut-être faut-il être habité par la certitude de son destin pour le vivre pleinement, par delà les vicissitudes virales et les contingences pandémiques…

Boris Johnson a fait plus fort encore, niveau symbole ! Admis en soins intensifs juste avant le week-end pascal, après avoir contracté le Covid19, il est en quelque sorte descendu aux enfers (on craignit pour sa vie) pour revenir en splendeur… le troisième jour, jour de la Résurrection !

Alors notre Président affirmant ledit Lundi Saint (pour les Chrétiens) qu’il va « se réinventer » (renaissance sémantique), c’est bien mais ça fait presque petit bras, par rapport à la renaissance johnsonnienne. Ce soir-là, on vit notre Président grave, humain, pragmatique, singulièrement humble. On n’a pas dit que « le roi était nu ». Mais on a vu un homme d’Etat « démasqué », au sens le plus littéral du terme. Car parlant théâtre du pouvoir et mise en scène du politique, la seule question que se posent les Français est quand même celle-ci : « où sont les masques ? » Et en l’absence de réponse, on pense un peu que tout cela, c’est une mascarade, non ?

Pascal Lardellier

Professeur à l’Université de Bourgogne

@LardellierP