Je ne peux m’empêcher de penser à la fantastique exposition l’été dernier de Yan Pei-Ming au Musée des Beaux-Arts de notre ville. Avec l’apparition dans notre existence du Covid-19, elle m’apparaît prémonitoire. Tout était annoncé dans l’œuvre du peintre : des villes en survivance, où l’existence humaine ne pèse pas plus lourd qu’une simple virgule qui s’achève comme un point final à la ligne de vie … Désormais la pandémie nous contraint chaque jour à une réflexion sur la mort, telle que l’envisage notre pensée moderne – fort éloignée d’un Platon pour qui elle signifiait libération de l’âme et accès à la vérité. Fort éloignée également des doctrines judéo- chrétiennes … Nous, les esprits du XXIème siècle, envisageons la mort comme une faillite de la vie. Une faillite certes inéluctable, mais totalement inadmissible et inexplicable. Le culte que nous vouons – du moins pour la plupart d’entre nous – à l’individualisme, à la satisfaction de nos besoins matériels génère le credo en un confort de vie perçu comme « la » finalité de toutes choses. Nous ne sommes nullement en quête d’un sens à donner à notre passage ici-bas. Il suffit d’observer les obsèques de ces dernières décennies et d’en décrypter la signification sous-jacente : du défunt ou de la défunte, l’assistance attend que ses proches en présentent les étapes marquantes de la vie – fond musical, photos ou vidéos à l’appui. Or, la pandémie actuelle prive les vivants de ces séquences, en renvoyant les familles à l’espoir d’une célébration religieuse, une fois seulement le Covid terrassé. Ou bien en les confrontant au néant métaphysique pour peu qu’elles soient athées, agnostiques …
Aujourd’hui, l’expression « faire son deuil » apparaît dans son imbécillité la plus absolue : quand on a aimé quelqu’un parti pour toujours sous des cieux aléatoires, le mieux qui puisse arriver c’est de sentir, au fil de longues années, une sorte de présence familière qui vous habite et que l’on « convoque » pour prendre le défunt à témoin d’évènements extraordinaires, ou à l’occasion d’un concert sublime ou encore au sortir d’une exposition fabuleuse : qu’en penserait-il ? qu’en penserait-elle ? Aimerait-il ? Aimerait-elle ? La peste du Coronavirus qui frappe de maladie ou de mort nous met face à nous-même, dos au mur d’une technologie qui a supplanté toute métaphysique, toute spiritualité… La pensée occidentale ancienne – je pense aux Grecs – avait inventé une réponse collective aux morts dues à la guerre, aux famines ou aux épidémies qui ravageaient régulièrement les cités-états de Sparte, de Thèbes, d’Athènes : une fois par an, la foule mettait à mort le « pharmakos », victime innocente immolée en expiation des fautes de la société toute entière. Il s’agissait là d’un rite de purification d’ailleurs largement répandu dans les sociétés primitives – cf. le bouc émissaire des Hébreux – afin de combattre l’adversité, ou de terrasser les forces divines menaçant la collectivité. Les Etrusques – et là, il s’agit des honneurs funéraire rendus à l’un des membres de la famille – avaient coutume d’organiser sur le tumulus des combats d’esclaves : le sang versé était censé apaiser les dieux et apporter leur réconciliation avec le genre humain. Cette pratique née 800 avant JC s’est laïcisée au fil du temps pour aboutir aux spectacles donnés par les gladiateurs sous la Rome antique. Quel sera le monde de l’après-demain dans notre cyber-univers qui s’est désabonné de toutes connexions avec la transcendance ainsi qu’avec le divin ? Futur or no futur ?
Marie-France Poirier