Thriller social français de Ladj Ly, avec Damien Bonnard, Alexis Manenti, Djebril Didier Zonga et Jeanne Balibar.
Stéphane, tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris et Gwada, deux « Bacqueux » d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone filme leurs moindres faits et gestes.
Co-réalisateur avec Stéphane de Freitas de l’épatant et généreux documentaire A Voix haute, Ladj Ly frappe une nouvelle fois un grand coup avec cette première fiction Les Misérables, Prix de jury à Cannes, et en lice aux Oscars pour représenter la France.
C’est d’ailleurs enveloppé d’un drapeau tricolore, qu’un jeune Gavroche noir parcourt les Champs-Elysées pour fêter la victoire de l’Equipe de France de foot, en ouverture du film. La Marseillaise est chantée en chœur. Moments de ferveur patriotique éphémères, que seul le sport parvient à générer, illusion d’un bonheur partagé, qui ne parviendra pas à faire oublier un quotidien des quartiers bien différent.
En effet, dans la cité des Bosquets à Clichy-Montfermeil, construite à la place d’une partie de l’ancienne forêt de Bondy, même si une piscine gonflable a été installée au milieu des barres d’immeubles, le guet-apens n’est jamais loin. Chris, le plus radical des trois « Bacqueux », trouve quand même le temps de vanner tous ces jeunes « microbes » : « Y avait plus de place au Club Med » ?
Au contraire de La Haine (1995) de Mathieu Kassovitz, centrée sur une journée particulière de trois jeunes de banlieue après une bavure lors d’un interrogatoire, le film de Ladj Ly adopte le point de vue des trois policiers. Dans le rôle du « bizuth », Damien Bonnard semble débarquer d’une autre planète, après ses prestations remarquées dans En Liberté, Sauver ou Périr et J’accuse. Djebril Zonga interprète celui par qui le scandale arrive, après un pitoyable tir de flashball dans la tête, filmé à son insu. Une étrange coïncidence avec l’actualité… Enfin, Alexis Manenti joue le flic beauf et raciste, sans que sa part d’humanité soit éclipsée. A leurs côtés, Jeanne Balibar est une commissaire inattendue, dans un univers presque exclusivement masculin.
Il y a, évidemment, comme dans La Haine, cette même volonté de partir d’une réalité tragique : pour Kassovitz, la mort de Makolmé M’Bowolé tué à bout portant d’une balle dans la tête en avril 1993. Pour Ladj Ly, il s’agit des incidents de Clichy-sous-Bois, liés à la mort en octobre 2005 de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans l’enceinte d’un poste électrique. Adepte du « copwatch », pratique consistant à filmer les interventions policières, Ladj Ly capta les événements dans un précédent documentaire, 365 jours à Clichy-Montfermeil, réalisé par le collectif Kourtrajmé. « Les petits, on n’arrive pas à les tenir » entendait-on déjà dans cette vidéo de vingt-cinq minutes.
Tout dans Les Misérables est fondé sur ses choses vécues, belles, dramatiques ou tragiques : la liesse de la Coupe du monde, l’arrivée du nouveau flic dans le quartier, l’histoire du drone ou celle rocambolesque du vol du lionceau, déclenchant la colère des gitans propriétaires d’un cirque.
Ladj Ly montre toute la diversité incroyable de son quartier. Il porte un regard plein de compassion sur tous les clans, et nous donne à voir la complexité des personnages, d’un monde, sans porter de jugement. Il évite surtout les poncifs du film de banlieue : drogue, armes et rap ! Le spectateur est plongé en immersion quasi-tranquille dans le quartier, avant que tout ne bascule. Le style oratoire de certaines répliques, la puissance et l’importance de la parole, nous rappelle immanquablement le précédent opus du metteur en scène, A Voix haute.
Soulignons aussi le travail remarquable à l’image de Julien Poupard, le chef-opérateur, et celui de Flora Volpelière, qui réussit un montage diablement efficace de moins d’une heure quarante-cinq pour une centaine d’heures de rushes ! On finit en apnée, cloué sur son siège.
Ladj Ly capte l’urgence, l’embrasement, l’atmosphère proche du chaos. Il réalise un véritable thriller social, où la caméra colle aux nombreux personnages, donnant une véritable ampleur romanesque à ces Misérables, grand film humaniste et politique. Une œuvre aujourd’hui essentielle, à l’image de celle de Victor Hugo en son temps. Nous espérons qu’elle pourra faire bouger les lignes…