Alain Houpert : « On a perdu beaucoup de crédit à crier haro sur le tram, puis sur la Cité de la gastronomie »

Tête de liste de la droite aux dernières municipales à Dijon, le sénateur Alain Houpert (LR) s’est montré plutôt discret au sein de l’opposition depuis sa défaite de mars 2014. S’il ne laisse rien filtrer pour l’heure sur le choix qu’il fera pour les élections de l’an prochain, il entend bien faire entendre sa voix de parlementaire… qui n’a pas sa langue dans sa poche.

Dijon l’Hebdo : Les esprits s’agitent à droite et au centre pour savoir quel serait le meilleur profil pour conduire la liste aux élections municipales de mars 2020. On ne vous a pas entendu jusqu’alors sur ce sujet. Est-ce à dire que vous ne serez pas candidat, comme en 2014, à la mairie de Dijon ?

Alain Houpert : « Les esprits agités ne sont pas de bon conseil. En tant que sénateur et conseiller municipal à Dijon, je rencontre, j’agis et j’écoute. Nos concitoyens sont lassés de politique politicienne. Ils attendent de leurs élus de l’efficacité et de la modestie. J’ai reçu les Gilets jaunes, je reçois aussi quotidiennement des « doléances » de citoyens qui me font part de leur participation au Grand Débat : ce qui en ressort, c’est ce sentiment d’exclusion et je crois que le maire d’une ville comme Dijon doit pouvoir proposer un projet rassembleur en oubliant les préoccupations clientélistes, au service de l’intérêt général plus que de sa carrière. »

DLH : Selon vous, quel est celui ou celle qui vous paraît le mieux « armé (e) » pour donner à la droite des chances de l’emporter ? 

A. H : « Il y a deux parlementaires de droite en Côte-d’Or : Rémi Delatte et moi-même. La commission nationale d’investiture des Républicains ne peut se passer de notre avis sur la question. Faudra-t-il une nouvelle fois assister à des batailles d’ego, de candidats-pions placés pour faire plaisir à tel ou tel ? Ce serait encore aller droit à l’échec. A cause des divisions de la droite et de l’intervention de certains caciques de la politique locale, nous avons dû affronter une triangulaire qui nous a fait perdre la chance historique d’une alternance à la mairie de Dijon. Ayons un peu de mémoire ! »

DLH : Et si vous deviez soutenir un des deux candidats qui semblent se détacher aujourd’hui, Laurent Bourguignat et Emmanuel Bichot… Sur lequel votre choix se porterait-il ?

A. H : « D’abord, il n’y a aucune raison de limiter la campagne à ces deux noms ! Je le répète, il y a deux parlementaires nationaux de droite qui ont su se montrer victorieux lors d’échéances politiques majeures. Pour ma part, je me réserve le droit de faire connaître ma position en temps et en heure.

De plus, c’est la commission nationale d’investiture de notre famille politique qui déterminera le nom du candidat, comme pour toutes les communes de plus de 30 000 habitants. Ce ne sera donc pas mon choix, mais un choix collégial, même si je le redis, la voix des parlementaires doit être fortement entendue. Sur le fond, je comprends que les deux challengers que vous évoquez ont des lignes un peu différentes. L’un serait prêt à s’allier avec LREM, alors que l’autre est plus proche de « l’union des droites ». Ces stratégies me semblent hasardeuses. Pour ce qui me concerne, je suis très attaché au « ni-ni » de Nicolas Sarkozy et, au lieu de penser déjà aux alliances, il faudrait d’abord aller penser convaincre les Dijonnais ! Les Français ont clairement exprimé leur ras-le-bol des cuisines politiciennes : ce qu’ils veulent c’est du concret. Les élections municipales se joueront projet contre projet, les maires incarneront l’avenir par des projets économiques solides. »

DLH : Que retenez-vous de ces cinq dernières années passées dans l’opposition et comment expliquez-vous l’explosion dont a été victime le groupe que vous présidiez qui a donné « naissance » à trois sous-groupes qui ne rassemblent même pas la totalité des dix sièges que vous aviez obtenus en 2014 ?

A. H : « Je crois que la droite et le centre sont restés trop longtemps dans l’opposition systématique. On a perdu beaucoup de crédit à crier haro sur le tram, puis sur la Cité de la gastronomie. Il est temps de changer de logiciel et de regarder vers l’avenir. Pour les années qui viennent, je suis très préoccupé par la situation des finances de la ville. En réalité, j’ai le sentiment que rien n’est fait pour parer à la suppression de la taxe d’habitation. Je redoute que cet attentisme ne conduise à une hausse massive de la taxe foncière. Ce serait un scénario catastrophe pour les petits propriétaires après la crise des Gilets jaunes. La municipalité sortante n’est toutefois pas la seule responsable. Il y a aussi Les Marcheurs : il faudra qu’ils nous expliquent comment ils comptent concilier leurs positions nationales et locales. Les Gilets jaunes nous ont montré que la justice fiscale et sociale est au premier plan des préoccupations des Français. Il faut les entendre et c’est d’abord au niveau local que l’écoute doit être optimale. Je suis très touché par les épisodes de violence qui s’exercent à Dijon depuis le début de la crise des Gilets jaunes, bien plus que dans d’autres villes au profil similaire. Il faut se poser la question ! »

 

DLH : Les élections sénatoriales suivront les municipales de quelques mois. Briguerez-vous un troisième mandat ?

A. H : « Je solliciterai une nouvelle fois la confiance des grands électeurs mais, pour l’instant, l’heure est aux élections européennes. Chaque chose en son temps. »   

 

DLH : Une République sans Sénat est-elle envisageable ?

A. H : « Non, c’est une certitude. On a longtemps estimé que le Général de Gaulle avait échoué à supprimer le Sénat par référendum en 1969 du fait de l’usure du pouvoir. En réalité, j’ai le sentiment que les Français sont intuitivement très soucieux d’un véritable équilibre par le bicamérisme. Il y a une sorte de méfiance à l’égard d’une trop forte concentration du pouvoir dans les mains de l’exécutif qui est profondément ancrée. Je crois que cette méfiance s’est même renforcée ces dernières années car le quinquennat a trop affaibli l’Assemblée nationale qui semble être réduite à une chambre d’enregistrement des décisions du gouvernement. Et c’est bien grâce au Sénat et à la commission d’enquête présidée par Philippe Bas que la justice va pouvoir disposer de tous les éléments nécessaires dans ce qui est devenu « l’affaire » Benalla : voilà la preuve que le Sénat est un indispensable de notre République. »

 

Comment avez-vous vécu ce grand débat national, épisode pour le moins inédit dans l’histoire de la démocratie française ? Franc succès ou perte de temps ?

A. H : « Comme un incroyable gâchis. Jamais un gouvernement n’a perdu autant de temps alors qu’il est si urgent d’agir. Depuis l’affaire Benalla, la France tourne au ralenti. Plus largement, Emmanuel Macron ne s’est attaqué à aucun sujet sérieux depuis son élection. Rien sur les retraites. Rien sur la fonction publique. Du coup, la dépense publique augmente et les impôts avec. La situation est intenable. »

Personnellement, en tant que sénateur, y avez-vous contribué ?
A. H :
« J’ai longtemps espéré pouvoir interpeller le Président en direct, mais il n’est pas venu en Côte d’Or et je le regrette. Ceci dit, au regard de ce qui s’est passé ailleurs, j’observe que les débats avec le Président étaient extrêmement verrouillés, les participants triés sur le volet, etc. Rétrospectivement, je ne regrette donc rien, si ce n’est le coût de cette opération de communication réalisée aux frais du contribuable. Par contraste, les cahiers de doléance ouverts en mairie ont coûté bien moins cher que les tours de passe-passe du président. Le président ferait bien de s’inspirer des maires : il y gagnerait en sagesse et en expérience. »

  

DLH : Plus de 10 000 réunions ont été organisées dont la moitié par des élus. Ne pensez-vous pas que les maires ont trouvé là une belle occasion de montrer à Emmanuel Macron qu’ils étaient indispensables ?

A. H : « Emmanuel Macron a organisé plein de réunions. Ce n’est pas un exploit. L’exploit eût été qu’il prenne des résolutions, mais ces dernières sont sans cesse reportées. L’exploit eût été qu’il tienne un langage de vérité, mais c’est un Président de « fake news ». Par exemple, en ce qui concerne les collectivités, il fait des déclarations d’amour aux maires et, « en même temps », jamais l’État ne s’est autant désengagé. D’après mes remontées, les communes constatent toutes que la DGF continue de baisser.  Le grand débat s’est ainsi achevé en Corse par un moment de vérité pour le Président : les élus ne se déplacent même plus pour l’écouter. Je vous le redis, la situation est intenable. »

DLH : Comment expliquez-vous la défiance qui n’a cessé de croître des Français avec leurs représentants ?

A. H : « Les élus se sont progressivement faits coiffés par les technocrates, qui ont confisqué les leviers de la décision publique. L’État Macron incarne cette toute puissance acquise par certains hauts fonctionnaires au détriment des élus. Il est temps de redonner à la légitimité démocratique son véritable sens. Peut-être que les élections européennes permettront de reconquérir une part de notre souveraineté populaire. En tout cas, j’ai confiance en ma famille politique, la campagne de François-Xavier Bellamy se passe bien. Je préfère faire de la politique avec des philosophes plutôt qu’avec des technocrates. »

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre