LE MYSTERE HENRI PICK

Comédie littéraire à suspense de Rémi Bezançon, avec Fabrice Luchini, Camille Cottin, Alice Isaaz et Bastien Bouillon et Josiane Stoléru.

En Bretagne, un bibliothécaire décide de recueillir tous les livres refusés par les éditeurs. Ainsi, il reçoit toutes sortes de manuscrits. Parmi ceux-ci, une jeune éditrice Daphné Despero (la toujours très juste et malicieuse Alice Isaaz) découvre ce qu’elle estime être un chef-d’œuvre, écrit par un certain Henri Pick, un pizzaïolo breton (lol). Elle part à la recherche de l’écrivain et apprend qu’il est mort deux ans auparavant. Selon sa veuve (Josiane Stoleru), il n’a jamais lu un livre ni écrit autre chose que des listes de courses… Aurait-il eu une vie secrète ? Auréolé de ce mystère, le livre de Pick va devenir un grand succès et aura des conséquences étonnantes sur le monde littéraire. Il va également changer le destin de nombreuses personnes, notamment celui de Jean-Michel Rouche (Fabrice Luchini), un journaliste obstiné qui doute de la version officielle. Et si toute cette publication n’était qu’une machination? Il va mener son enquête, accompagné par la fille d’Henri Pick, Joséphine (l’incontournable Camille Cottin).

Ne manquerait-il pas encore à Fabrice Luchini la rencontre avec le rôle de sa vie au cinéma ? Cinquante ans de carrière pour ce comédien populaire et aimé des médias, qui dans sa soixante-huitième année, après soixante-dix huit films tournés, continue à faire le show à la télévision, cette vieille lucarne d’un autre temps. Sa rencontre avec Naomi Campbell sur le plateau de « C à vous » sur France 5 pour la promotion du dernier film de Rémi Bezançon LE MYSTERE HENRI PICK l’a bouleversé : « Là c’est énorme ! Là je deviens régional complètement ! » Brève rencontre entre l’un des plus grands acteurs français et la super model britannique, puisque Fabrice doit rejoindre le théâtre de la Porte Saint Martin pour sa lecture rigoureuse de Péguy, Guitry, Zola, Pagnol … Des écrivains parlent d’argent. Et 1072 personnes tous les soirs, sans compter le paradis !

C’est Philippe Labro qui lui confie son premier rôle dans TOUT PEUT ARRIVER (1969), avant que ce fou de littérature ne devienne l’acteur fétiche d’Eric Rohmer, du GENOU DE CLAIRE en 1970 à L’ARBRE, LE MAIRE ET LA MEDIATHEQUE, plus de vingt ans après. Parmi les films les plus remarquables de Luchini, on peut citer PERCEVAL LE GALLOIS, LA DISCRETE ou BEAUMARCHAIS, L’INSOLENT, mais peu d’évidence ou d’immenses réalisateurs pour mettre en lumière ce passionné de la beauté de la langue. A l’inverse, ses illustres ainés, Louis Jouvet (HOTEL DU NORD), Pierre Brasseur (LES ENFANTS DU PARADIS), Jean-Paul Belmondo (d’A BOUT DE SOUFFLE à ITINERAIRE D’UN ENFANT GATE)et Gérard Depardieu (des VALSEUSES à CYRANO DE BERGERAC), ont été au centre des grandes réalisations de Carné, Godard, Resnais, Truffaut, Rappeneau ou Pialat. « Des génies qui t’illuminent » comme dit si bien Fabrice Luchini à propos de son panthéon littéraire.

Dans LE MYSTERE HENRI PICK, l’enquête n’est qu’un prétexte. Librement adaptée d’un livre de David Foenkinos (comme Houellebecq romancier et réalisateur, mais la comparaison s’arrêtera là, tant ils sont opposés) ce polar a la particularité de ne mettre en scène aucun meurtre : personne ne tue jamais personne, même si Luchini règle son compte à Marguerite Duras, dans une imitation vacharde du style de l’écrivaine. Alors pourquoi se plonger dans ce mystère, où la passion de la littérature est plus forte que celle de l’enquête, voire même que celle du cinéma ?

Pour l’existence de ce refuge littéraire qu’est la bibliothèque des livres refusés créée en 1990 à Vancouver par le Canadien Richard Brautigan. David Foenkinos l’utilise comme toile de fond de son œuvre, Rémi Bezançon également. À Crozon, plus précisément, région sauvage et poétique, comme les auteurs que ce clone de Bernard Pivot (Jean-Michel Rouche) défend.

Parce que cette supposée imposture littéraire galvanise l’imagination de Rouche, et la nôtre par la même occasion, entrainant personnages et spectateurs dans des situations désopilantes, renforcées par les dialogues savoureux de Vanessa Portal.

Pour le duo complice formé par Camille Cottin et Fabrice Luchini, tout en retenue dans le jeu comme dans les sentiments inattendus qui affleurent le long des belles côtes bretonnes.

Pour le duo audacieux et plus ardent qu’il n’y paraît, formé par Alice Isaaz (MADEMOISELLE DE JONCQUIERES) et Bastien Bouillon (CARNIVORES), faussement maladroit mais vraiment déterminé. Tous deux crèvent toujours autant l’écran.

Pour la musique de Laurent Perez del Mar, un admirateur de Maurice Jarre. Comme son maître, il est attaché aux thèmes, aujourd’hui souvent remplacés par des musiques de fond ou d’atmosphère, manquant parfois d’originalité. Sans que la musique de Perez del Mar ne « cannibalise les images », elle s’inscrit dans la partition globale et cohérente de cette comédie littéraire.

Si pour paraphraser Fabrice Luchini, le plaisir est conservateur et l’orgasme est révolutionnaire, disons que nous sommes plus avec LE MYSTERE HENRI PICK dans un film plaisant, mais néanmoins jubilatoire.

Raphaël MORETTO