L’AMOUR EST UNE FÊTE

Comédie mélancolique et policière française de Cédric Anger, avec Guillaume Canet, Gilles Lellouche, Michel Fau, Camille Razat et Xavier Beauvois.

Paris, 1982. Patrons d’un peep show, Le Mirodrome, criblés de dettes, Franck (un pharamineux Guillaume Canet aphasique) et Serge (le survolté Gilles Lellouche en rouflaquettes) ont l’idée de produire des petits films avec leurs danseuses pour relancer leur établissement. Le succès est au rendez-vous et ne tarde pas à attirer l’attention de leurs concurrents, dont le prolixe Maurice Vogel (Michel Fau, comme toujours exceptionnel). Un soir, des hommes cagoulés détruisent le Mirodrome. Ruinés, Franck et Serge sont contraints de faire affaire avec leurs rivaux. Mais ce que ces derniers ignorent, c’est que nos deux entrepreneurs sont des enquêteurs chargés de procéder à un coup de filet dans le business du « X » parisien. C’est le début d’une aventure qui va tous les entraîner très loin.

Traité de l’univers de la pornographie sans jamais être vulgaire ni glauque, c’est la gageure que réussit le réalisateur Cédric Anger avec son quatrième long-métrage L’Amour est une fête, film rock et pas trash, à la reconstitution soignée. Voici six bonnes raisons de vous (re)plonger plus de trente-cinq ans en arrière dans une galaxie dissolue, à l’aube des années sida, en allant voir L’Amour est une fête.

Pour son quatuor d’acteurs impayables : Guillaume Canet et Gilles Lellouche, les « Starsky et Hutch » des mirodromes – le premier en mutique flic de la mondaine peroxydé, le second en queutard bonhomme esbroufeur et farfelu ; Michel Fau en producteur déroutant, passionné et amoureux, et Xavier Beauvois en Jean-Luc Godard du X, rêvant de tourner Citizen Kane 2 ! A leurs côtés, la douce et éblouissante Camille Razat : découverte dans la série de France 2 Disparue, elle a confirmé depuis l’étendue de son talent dans la comédie de Victor Saint Macary Ami-Ami. La jeune comédienne parvient miraculeusement à s’imposer, dans un monde où la place de la femme est bien évidemment à revoir … et pas seulement en VHS !

Pour sa liberté de ton, son spleen peu commun et sa construction un peu foutraque. L’action du film se déroule au début des années Mitterrand, une saison pleine d’espérances où l’on croit encore pouvoir bâtir un lendemain qui chante à grand coup de pellicule et de projecteurs. Anger semble nostalgique d’un âge d’or du cinéma de genre, en donnant une image certes un peu naïve, mais totalement touchante du X. Après La prochaine fois, je viserai le coeur, portrait glaçant d’un tueur inspiré d’un fait divers, le cinéaste s’offre une récréation, voire une re-création d’un monde révolutionnaire révolu. Á la morosité de la mondaine et de son univers grisâtre, il oppose une joyeuseté créative et hédoniste.

Pour le plaisir de retrouver en ouverture de L’Amour est une fête, notre éternel ministre de la culture : Jack Lang, fessant l’industrie du cinéma X pour sa médiocrité artistique. Une archive oubliée et drôle que ressuscite avec malice Cédric Anger.

Pour son titre, hommage à l’autobiographie libertaire de Sylvia Bourdon, publiée en 1976 aux éditions Belfond. Difficile de ne pas penser également au Paris est une fêted’Ernest Hemingway, symbole de la résistance à des attentats qui ne sont malheureusement pas qu’une histoire de pudeur.

Pour le cinémascope et la magnifique photographie de Thomas Hardmeier. Un grain d’image à l’ancienne célébrant la première partie de la décennie quatre-vingt : moment où les actrices du cinéma traditionnel ne tombaient pas que la chemise, à l’instar des stars Isabelle Adjani (L’été meurtrier), Sophie Marceau (L’amour braque), Juliette Binoche (Rendez-vous), Nastassja Kinski (La Féline), Maruska Detmers (La Pirate) ou Valérie Kapriski (La femme publique).

Pour la partition musicale, morriconienne et capiteuse, de Grégoire Hetzel : pour Cédric Anger, « ce qui réunit le beau score en apesanteur composé par Grégoire Hetzel à la douceur rageuse d’Ornella Vanoni, ce qui rassemble le cri du cœur de Murray Head et la pop sexy et dansante de Sonia et d’Aneka, en passant par cette perle jubilatoire et spontanée qu’est Clichés du dandy Alain Kan, c’est le souvenir rêvé d’une époque, le songe mélancolique et léger comme une robe de fin d’été ».L’Amour est une fêtedébute par le magnifique« Cum on Feel the Noize »de Slade, marquant d’entrée la patte rock’n roll de ce « feel good movie » bohème, improbable et réjouissant. Bon début d’automne à toutes et à tous.

Raphaël Moretto