Voilà deux bouquins de Jean Chaline qui tombent pile-poil dans cette année 2018 zébrée de violences, si peu sagace à un moment où le genre humain ne voit pas plus loin que le bout d’une connexion sur Instagram. En un mot comme en cent, ces ouvrages-là sont vitaux comme l’air, l’eau ou le vent !
Jean Chaline, grand paléontologue dijonnais, l’esprit toujours en alerte, l’intelligence décapante, nous incite à une réflexion permanente. Et quel est le titre de ces deux nouveaux compagnons de route, iconoclastes en diable ? Archéologie des religions / Saga des religions, suivi de Histoire de la barbarie / Requiem pour l’humanité(publiés aux éditions Ellipses). Inutile de dire que l’un ne va pas sans l’autre, tant ils sont complémentaires. Le premier tome,fruit de recherches approfondies, offre une synthèse iconoclaste sur les origines des religions à partir des croyances animistes qui ont émergé dès la préhistoire. Le second dresse un bilan rédhibitoire sur toutes les formes de barbarie commises par les hommes sous l’emprise des pulsions des quatre moteurs de civilisation. Entretien avec Jean Chaline.
Dijon l'Hebdo : Vous n’y a allez pas de main morte, en affirmant que les « Dieux sont des êtres de fiction » et que toutes les religions sans exception procèdent de l’animisme…
Jean Chaline : « Oui, absolument ! La première des religions, celle qu’on observe dans toutes les civilisations, c’est celle de la peur. Nos ancêtres avaient une espérance de vie ne dépassant pas les 20/25 ans. Ils vivaient dans un monde extrêmement dangereux, et ces peuples de chasseurs-cueilleurs s’interrogeaient déjà sur leur passage sur terre. Pour expliquer la cause de phénomènes extraordinaires, descataclysmeset certains sites de l’environnement, ils ont inventé des esprits ou des forces vitalesqui s’incarnaient par exemple dans la foudre, la pluie, les sources, etc… On observe que cetanimisme est à la base de toutes les cultures, ce qui n’est pas forcément le cas du chamanisme. Au fur et à mesure que l’humanité a perfectionné la sophistication de ses systèmes sociaux et politiques depuis 10 000 ans, les esprits ont été érigés en divinités. Il y a chez l’homme ce besoin éternel d’explication de l’univers exprimé par des mythesainsi que cette nécessité de transcendance : pour échapper à sa destinée de mortel, il invoquait les esprits à toutes les étapes ou les difficultés de sa vie, telles que la chasse, la naissance des enfants, la maladie, la disette, la sécheresse, etc. En s’appuyant sur les découvertes les plus récentes de l’archéologie,lesspécialistes ont démontré que l’origine du judaïsme se trouvait dans le polythéisme ougaritien duProche-Orient. J’analyse par ailleurs les différences conceptuelles du christianisme et de l’islam, tout en soulignant que leurs extensions géographiques et politiques ont assuré davantage leur devenir que leurs qualités intrinsèques. Ainsi le christianisme a été utilisé par l’empereur Constantin 1erpour unifier son empire romain ; et l’islam a été imposé par les conquêtes militaires des Arabes. Bien entendu, tous les textes sacrés des religions sont des récits apocryphes, picaresques, et doivent être appréciés à l’aune de la science et des avancées historiques actuelles. Quant à la laïcité, c’est un concept récent. Et nous avons intérêt à la défendre, bec et ongles ! »
DLH : Vous démontrez dans vos deux ouvrages que les dieux ont toujours servi à une instrumentalisation du pouvoir politique et aux desseins les plus noirs des hommes de pouvoir. Vous n’hésitez pas à écrire dans votre deuxième ouvrage que « Hitler et Mussolini ont acheté le Vatican ».
Jean Chaline : Tout à fait ! On peut dire que cela a,par la suite,permis au Vatican de financer le parti de la Démocratie chrétienne en Italie ; par ricochet, celle-ci l’a exonéré d’impôts et lui a permis de développer la richesse de la Banque Vaticane, d’en permettre les exactions que l’on sait. Et ce, en toute impunité. Mais, je voudrais revenir sur ce qui constitue la base de ma démonstration en m’appuyant sur des données scientifiques : toute civilisation se fonde sur les deux moteurs que sont le « pouvoir et le sexe » ; ces deux-là, si je puis dire, « marchent ensemble ». Nous devons ces « moteurs de civilisation » à l’héritage biologique qui nous relie à nos ancêtres les primates. Mais, l’homme a inventé deux autres « moteurs de civilisation », très tôt dans son histoire : les « croyances » liées à l’animisme,puis aux polythéismes instituant une morale, ainsi que la « cupidité », en appliquant le « tout pour nous, rien pour lesautres »d’Adam Smith. A ce titre, la première grande escroquerie, dont on trouve trace dans les écrits, a eu lieu à Sumer, en 2200, quand le roi Naram-Sins’est fait diviniser, devenant le premier roi-divin de l’histoire… Toute contestation de sa personne fut alors perçue contre une atteinte au divin et éliminée. Ce « mixage » du temporel et du religieux a permis au monarque sumérien de s’arroger un pouvoir absolu sur le peuple. Pouvoir absolu que l’on retrouvera plus tard dans les monarchies de droit divin. Je remarque que c’est principalement en se prévalant d’une des trois religions du Livre - judaïsme, christianismeet islam - que des dirigeants mégalomanes ont fait payer un très lourd tribu à l’humanité ! En revanche, je montre que ce bilan d’horreurs est compensé par les avancés majeures de l’humanité, dont le passage de l’Obscurantisme au Siècle des Lumières avec la Déclaration des Droits de l’Hommeet par ledévouement des millions de personnes qui se consacrent, dans l’anonymat, au service des plus démunis. Je tiens à souligner que le contexte historique des religions que je dresse donne des clefs pour mieux appréhender les diverses mouvances des religions actuelles, tout comme les déviances intégristes de la situation politico-religieuse que l’on connaît.
DLH : Justement, vous vous attachez à démontrer la modernité de Jésus, sans en faire une incarnation du divin… Vous laissez à vos lecteurs toute liberté d’esprit.
Jean Chaline : Jésus disait qu’il était fils de Dieu. Pour ma part, je suis séduit par sa philosophie : il est le seul à avoir prôné une religion d’amour du prochain, de fraternité et d’égalité entre les hommes et les femmes, la liberté de conscience et de choix et la laïcité. Autant de principes très éloignés du monde gréco-romain et du judaïsme ancestral ! C’était un être d’humilité au service des autres. Je note que tous ses principes de vie ont été repris dans la Déclaration universelle des Droits de l’homme et la loi de laïcité de 1905, mais seulement 2000 ans plus tard !
DLH : Votre ouvrage Une Histoire de la barbarie / Requiem pour l’humanité, en dépit de son titre à résonance dramatique, apporte en final une note d’espoir. Vous ne concluez pas à l’instar de certains scientifiques vers une « sixième extinction » qui verrait la disparition de l’homme sur terre au profit de bactéries très « sophistiquées ».
Jean Chaline : Le monde a toujours été, et demeure dangereux. Le changement climatique quiva engendrerdes dégâts terribles. Mais il y a le péril atomique, les prises de pouvoir des GAFA - les quatre géants américains de l'Internet fixe et mobile que sont Google, Apple, Facebook et Amazon – et toutes les déviations big-brothériennes d’Internet. L’humanité est guettée également par les fléaux que constituent l’appauvrissement de nos ressources naturelles, les intégrismes religieux, les religions néo-créationnistes, le transhumanisme ou encore sonpassageau posthumanisme. A quand l’homme qui-vivra-mille ans ? Et à quand un Homo 10.9qui pourrait supplanter un Homo sapiensaux capacités dépassées par celles de l’intelligence artificielle, de surcroit complètement déshumanisé ? Science-fiction ou future réalité ? Faute d’être maîtrisées, ces nouvelles orientations pourraient aboutir à de multiples requiem. Je propose d’ouvrir toutes grandes les fenêtres du 21èmesiècle afin de construire - comme le propose Pierre Grou - « un renouveau de l’Esprit des Lumières »(1). Il est temps que nos connaissances se traduisent par une prise de conscience de tous ces défis. Maisj’observe que depuis l’origine, l’homme est toujours parvenu à s’en sortir. Je conclurai ainsi : aux grands défis, les grandes innovations !Nous sommes devant l’obligation de laisser à nos enfants un monde plus viable, sinon…
Propos recueillis par Marie-France Poirier
Pierre Grou, L’argent, l’obscurantisme du XXIème siècle, L’Harmattan, Paris, 2013.