On a tendance à surestimer notre capacité à résister à l’invasion du tiercé prétendument gagnant « BIEN VIVRE, PAS BOIRE ET PAS FUMER ». Le clean, l’excellence, le bio, la transparence passent pour faire de nous des êtres améliorés, nous obligeant à mettre la barre très haut.
Rien n’est plus ennuyeux que cette existence toute proprette sur elle et quasi ascétique prônée de tous côtés. Il faut de la force d’âme pour se tenir à distance de ce néo conformisme à la fois éthique, et au final consumériste. Au petit dej, plus question de café au lait sous prétexte que « c’est du poison ». Première règle : un bol de thé vert. Sans le moindre sucre, sinon c’est le diabète assuré à 90 berges.
Deuxième précepte : avoir l’œil sur le taux de triglycérides. De bien sales gaillards que ces triglycérides qui se faufilent jusqu’à vos œufs à la coq. Attention, ni beurre ni confiture, et bien entendu du pain épeautre et sans gluten ! Très important le « sans gluten » ! D’ailleurs les ayatollahs de la bouffe préconisent les céréales et le muesli à bricoler soi-même, plutôt que de choisir du prêt à l’emploi. Pourquoi faire simple, quand on peut se compliquer la vie ?
Pendant qu’on y est, n’hésitez pas à tirer définitivement la chasse d’eau sur vos WC traditionnels en céramique: ils sont d’un ringard ! Troquez-les contre des toilettes sèches, bien plus tendance : ils vous assureront la réputation d’avoir du fondement auprès de votre cercle d’amis écolos ++++.
Vous n’êtes pas au bout du calvaire : les canons contemporains de la beauté obligent désormais les femmes à se glisser dans une robe-chaussette, taille 34 au grand maximum. Même consigne pour les hommes qui – ô abomination – affiche des ventres-promontoires, dès 30/35 ans. Inutile de dire qu’il leur faut galoper vers le premier Fitness Park en vue ! Obligation faite donc pour les deux sexes – enfin, la vraie parité – de remplacer le repas de midi par une séance de stepper, de vélo, d’une heure sur le tapis de course, ou bien d’optimiser le galbé du popotin avec l’atroce machine à tortures qu’est la « presse à cuisse ».
A 14 heures, on est naze et on crève la dalle. Les magazines spécialisés ne fixent-ils pas les canons de la beauté ainsi que du « biotyfull » ? Tiens-tiens, au mot « canon », on se laisserait bien aller à un petit whisky, si… Si on n’appartenait pas à la caste des cadres dynamiques, de surcroit addicts à la performance.
A 17 heures, toute cette France-là des décideurs frisent le burn out. Heureusement dès 18 heures, ce beau monde sauve sa peau, qui, avec son coach sportif, qui, avec son psychanalyste, qui avec son naturopathe. L’étape est indispensable, sinon la relation privilégiée parents-enfants au dîner – Ouf ! Enfin un repas autorisé – risque d’en pâtir sur le plan culturel et affectif. Attention ! Pas question de bâiller en lisant aux mouflets une histoire édifiante sur l’égalité des sexes chez les Bisounours.
Arrive minuit, pas moyen de s’endormir… Alors, le conseil du marchand de sable : pensez à Humprey Bogart avec sa cigarette au bec, aux Tontons Flingueurs – as sans vergogne de la picole, et pourquoi pas à la pub-télé des rillettes Bordeau-Chesnel. Ne craignez plus la franchouillardise ! Car, en côtoyant « les vrais gens de la vraie vie, il y aura toujours un joyeux drille pour rouler- sans état d’âme aucun – une cigarette-maïs-qui-pue, ou pour se réjouir de l’actuelle multiplication des pubs dans le quartier. Une abstinence de tous les instants, c’est pas de la petite bière… Je vous l’dis, mes très chers Frères, mes très chères Sœurs : c’est carrément l’enfer. Confessons-le : l’Eglise et son petit vin de messe, la cellule PC et le coup rouge à la rescousse d’un piquet de grève, le militantisme de l’ex-RPR bon teint ou du PS des années 60/70 sur fond de Saint-Véran, avalé à grand renfort de saucisson et de rosette de Lyon, c’était « Le » paradis sur terre. Et, à plus d’un titre !
Marie-France Poirier