« Donner un corps à un rêve grec », c’est cette définition que le grand historien de l’Antiquité que fut Pierre Grimal donne à la matérialisation, au tracé des jardins romains. Expression d’un monde onirique, largement hérité des Hellènes, des Perses et des Babyloniens, le jardin romain associait ainsi quatre univers : celui de l’animal, du végétal, du minéral et de l’eau. C’était une union magique, dont l’archéologie contemporaine a restitué toutes les traces à Balaruc-les-Bains : le visiteur de 2018 y pioche le loisir de remonter le temps, par l’entremise de cet art horticole pratiqué pendant des millénaires dans le Bassin méditerranéen, l’Asie Mineure, l’Egypte. L’Orient nous a sans doute précédés, avec d’autres perspectives spirituelles, esthétiques ou utilitaires. Mais revenons dans nos terres ! Et c’est ainsi que vers – 350 avant JC, les cités-Etats de Sparte, Thèbes et Athènes pratiquaient déjà à l’intérieur de leurs murailles de défense des cultures vivrières indispensables en cas d’attaque obsidionale, de blocus maritime. Tout de suite, une remarque majeure par rapport à notre conception des jardins européens dès le Moyen-Age : toutes ces civilisations antiques (des Grecs aux Latins en passant par les Celtes ) avaient également édifié des jardins ou des bois sacrés – répliques supposées de l’Olympe ou de leurs univers mythologiques respectifs.
Ces peuples pratiquaient le culte des arbres, la divinisation de la nature. Le « lucus », le « nemus » des Romains était un lieu habité par une divinité, un être « monstrueux », mi-homme, mi-animal, tels les faunes ou les centaures. De ces siècles reculés, où la toute-puissance divine se manifestait de façon éclatante dans la nature, animait les façades des temples, des édifices privés, magnifiait les chapiteaux des temples, puis des églises ou des cathédrales, qu’en faisons-nous aujourd’hui ? Jusqu’au milieu du 20esiècle, nos jardins occidentaux et toute notre architecture, notre sculpture également, ont suivi ces voies d’un imaginaire animal divinisé, tout en le laïcisant depuis les sculpteurs ou les maîtres-jardiniers de la Renaissance et du Siècle des Lumières… Il n’empêche ! L’espèce humaine cohabitait ainsi au beau milieu de ces représentations transcendentales. Même nos maisons des années 1930 avaient adopté- fusse très modestement – dans leurs bas-reliefs, sur leurs vitraux, sur leurs façades, ces éclats d’une ère olympienne que Claude Debussy a mis en musique dans son superbe et nostalgique Après-Midi d’un Faune… La grande glaciation du numérique, de la dématérialisation, sont en passe d’éradiquer tous ces sortilèges, toutes ces superbes images collectives : l’architecture contemporaine produit des murs d’immeubles totalement lisses, cubistes, géométriques et… imberbes de toute statuaire.
Quant à nos jardins ou à nos parcs publics, ils s’appellent désormais espaces verts. Quel vide sidéral de l’esprit, de l’imaginaire collectif !