Didier Contrepois : « L’industrie, ce n’est plus Zola »

« Qu’est-ce qu’on peut faire évoluer dans notre communication pour donner au grand public une image plus proche de la réalité pour tout ce qui touche à nos métiers ? » Pour répondre à cette question l’UIMM (1), qui représente 50 % de l’emploi industriel, s’associe aux fédérations industrielles françaises qui ont décidé pour la première fois de parler d’une seule et même voix, autour d’un projet inédit : La Fabrique de l’Avenir. Un manifeste est sorti en avril et des actions d’envergure débutent ce mois-ci.

Dijon l’Hebdo : On n’a pas vraiment l’habitude de voir l’IUMM monter publiquement au créneau. Qu’est-ce que cela signifie ?

Didier Contrepois : « C’est un message fort que l’on veut délivrer et qui va s’inscrire dans la durée. Il n’est pas dans nos habitudes de manifester devant la préfecture pour nous faire entendre et chercher à convaincre. Nous avons opté pour une grande campagne de communication dont le premier temps fort a été la publication d’un manifeste le 4 avril dernier en direction de tous les candidats à la Présidentielle. Aucun n’a mis l’industrie au cœur de sa campagne…

La campagne de communication va durer trois ans pour balayer tous les champs qui sont couverts par l’industrie dans notre société. Elle va véritablement débuter en ce mois de mai. Nous associerons cette marque « La fabrique de l’avenir » sur des manifestations d’envergure comme le marathon de Paris, le Printemps de Bourges… Nous lancerons aussi des web séries en direction des jeunes et nous allons travailler avec des influenceurs, ces personnes très largement suivies sur les réseaux sociaux ».

DLH : Le mot industrie peut faire peur. Il véhicule des images : délocalisations, pertes d’emplois mais aussi un travail que l’on suppose pénible. « Je bosse à l’usine », avouez que ce n’est pas très vendeur… ?

D. C. : « On touche là le fossé énorme qui nous sépare du monde politique. Un fossé qui s’est creusé avec Martine Aubry et les 35 heures, où l’on a tenté d’expliquer que c’est en travaillant moins qu’on allait s’ouvrir des marges et des possibilités personnelles pour trouver le bonheur ailleurs.

Quand on s’intéresse à l’évolution des métiers de l’industrie, on s’aperçoit qu’on est bien loin de Zola. On n’est plus du tout dans des vieux ateliers pourris, plein de graisse, avec des niveaux de pénibilité très élevée. On est dans des métiers qui consacrent beaucoup de leurs moyens à la stratégie, à la recherche, au développement, à l’innovation. Tout ce qui nous entoure aujourd’hui, c’est l’industrie qui le crée.

En France, 75 % des dépenses en Recherche et Développement se font dans l’industrie. Cela représente 25 milliards d’euros. Ces perspectives intéressantes, il nous faut les faire connaître car force est de constater que nous avons encore beaucoup de mal à attirer les jeunes vers nos filières de formations ».

Dijon l’Hebdo : Les jeunes et l’industrie, c’est un mariage un peu compliqué, non ?

D. C. : « Ce qui caractérise l’industrie française, c’est l’écart énorme entre l’image que les gens se font des métiers industriels et la réalité de ce que vivent nos équipes. Du coup, on a bien du mal à valoriser nos filières qui, pourtant, offrent des perspectives extraordinaires. C’est lié à 40 ans de politique dans l’Education nationale qui font qu’aujourd’hui, malheureusement pour l’essentiel, la formation aux métiers de l’industrie est empruntée plus par défaut que par véritable choix. Plus généralement, c’est le problème de l’apprentissage qui n’est pas pris par le bon bout par les politiques. Il suffit de regarder chez nos voisins allemands pour voir que près de 80 % des jeunes, quelque soit le métier auquel ils se destinent, passent par l’alternance. Ils ont donc une expérience du monde de l’entreprise avant même leur première embauche.

Pourtant, les chiffres sont là : plus de 85 % des jeunes qui sortent diplômés de nos filières trouvent un job en CDI dans les 6 mois qui suivent leur sortie de l’école. En terme de salaires, les gens qui travaillent dans les filières industrielles gagnent, en moyenne, 13 % de plus que dans les autres secteurs d’activités ».

DLH : Et la loi sur la pénibilité n’a pas arrangé les choses ?

D. C. : « Nous n’avons jamais ignoré le fait qu’il y avait un certain nombre de métiers qui pouvaient entraîner des réductions d’espérance de vie. Par contre, associer la pénibilité avec le travail industriel au moment où on est en phase d’exploitation des robots qui vont faire disparaître les principales tâches pénibles, c’est de la malhonnêteté parce que c’était une façon de faire fi des efforts considérables consentis depuis des années par l’industrie de concert avec les partenaires sociaux. Il suffit de regarder les courbes pour mesurer le travail réalisé pour réduire les accidents du travail et la pénibilité ».

Dijon l’Hebdo : Quels sont les meilleurs arguments pour promouvoir l’industrie ?

D. C. : « Il faut bien prendre conscience qu’il n’y a pas d’économie forte sans industrie forte. Tous nos voisins qui ont fait le choix de développer intelligemment leur industrie sont dans des situations économiques bien meilleure que la nôtre. Saviez-vous qu’un emploi industriel en génère trois autres dans le reste de l’économie, que les industries françaises protègent des territoires entiers de la désertification, qu’elles positionnent la France sur les secteurs à forte valeur ajoutée dans la compétition internationale… ? »

DLH : La Fabrique de l’Avenir, c’est aussi une belle occasion de montrer que votre secteur est créateur d’emplois ?

D. C. : « La Fabrique de l’Avenir est l’expression inédite d’une mobilisation sans précédent. Cette démarche collective vise à porter d’une seule voix auprès des Français le discours positif et enthousiasmant d’une industrie qui leur construit un bel avenir. La Fabrique de l’Avenir s’inscrit dans une démarche d’actions et de preuves : cela passe par un travail sur l’attractivité du secteur auprès des Français car il est pourvoyeur de beaucoup d’opportunités (250 000 postes à pourvoir chaque année d’ici 2025). Cela passe également par la volonté d’agir ensemble sur des projets partagés et prioritaires comme la transformation digitale de l’industrie ; l’évolution de la formation pour de nouveaux métiers en phase avec les attentes des Français ; une ambition industrielle pour l’Europe ; la conciliation de l’environnement et de l’industrie avec notamment « l’économie circulaire » ; le développement de nouveaux modèles d’affaires et de production liés au big data, avec par exemple des partenariats entre des acteurs traditionnels et des start-up ».

Propos recueillis par Jean-Louis PIERRE

(1) Union des Industries et Métiers de la Métallurgie

Philippe Guerit, nouveau président de l’IUMM

Le conseil d’administration de l’UIMM Côte-d’Or a élu son nouveau président. Philippe Guerit succède ainsi à Didier Contrepois pour un mandat de trois ans.

Ingénieur de formation, Philippe Guerit s’est toujours passionné pour l’industrie et l’innovation : « Mon père, mon grand-père et beaucoup de mes proches travaillaient dans l’industrie. Ils ont dû me transmettre le gène. Et puis, c’est un monde qui comble ma curiosité par sa diversité et sa richesse ! Depuis le début de ma carrière dans la R&D, chez Creusot-Loire, je suis passé d’une production de pièces de 250 tonnes (des roues de turbine pour de grands barrages brésiliens) à des pièces d’orthopédie pouvant peser quelques grammes chez Protéor. Le travail, avec une partie export importante, m’a aussi permis de poser un pied sur tous les continents ! »

A une époque où l’on commençait à peine à parler d’ETI (Entreprises de Taille Intermédiaire) en France, l’UIMM Côte-d’Or demande à Philippe Guerit de représenter ces entreprises qui peinaient alors à trouver leur place entre PME et grands groupes, et souffraient de ne pas avoir droit aux différentes aides et subventions.