Nathalie Koenders au Beauvau des Polices municipales

La veille du Salon des Maires à Paris, François Rebsamen, le premier magistrat de Dijon depuis 2001, annonçait, dans un communiqué qui devait faire date, qu’il avait décidé de « transmettre son poste de maire à sa première adjointe Nathalie Koenders ». A quelques jours du conseil municipal devant entériner cette décision historique, Nathalie Koenders n’avait pas envisagé de se rendre au Salon des Maires de Paris pour se consacrer pleinement à cette transition. Seulement le ministère de l’Intérieur lui demanda d’intervenir lors de la relance du « Beauvau des Polices municipales » organisé au Salon des Maires de Paris.

Véritable référence en matière de tranquillité publique à l’échelle nationale – elle pilote notamment un groupe de travail au sein de l’association France Urbaine afin de réfléchir à l’amélioration de la Police municipale – elle fut l’une des rares à intervenir lors de ce rendez-vous devant déboucher sur une loi durant le 1er semestre 2025. Au retour de ce Beauvau des Polices municipales, le 21 novembre, l’encore Première adjointe de François Rebsamen a détaillé les attentes des élus locaux en matière de sécurité de proximité.

Quelles ont été les lignes forces de votre intervention ?

« La délinquance évolue dans notre société et nous sommes tous d’accord pour voir comment on peut simplifier l’action des policiers municipaux sur le terrain. Notre objectif est de dire qu’il y a deux principes intangibles qui font l’unanimité des élus car les associations comme France Urbaine, l’AMF sont transpartisanes. En premier lieu, c’est la libre administration des collectivités territoriales. C’est au maire, et à lui seul, de décider de se doter ou pas d’une police municipale, de l’armer ou pas… Ensuite, la police municipale doit rester une police de proximité et elle n’est pas là pour se substituer à la Police nationale ou à la Gendarmerie.

Tout ce qui concerne la lutte contre le narco-trafic, qui est d’actualité, le crime organisé ou bien le maintien de l’ordre doit rester une compétence régalienne et c’est aux policiers nationaux ou aux gendarmes d’assurer, en fonction du territoire, ces missions. C’est important car c’est en plus pour assurer la même sécurité de tous les citoyens sur l’ensemble du territoire français. Ce n’est donc pas à la Police municipale de s’en occuper. Pour autant, on voit bien que, dans la sécurité qualifiée du quotidien, nos policiers municipaux sont là pour justement assurer cette police de proximité. Mais il leur manque des outils afin d’être plus efficaces ».

Pouvez-vous nous en dire plus justement sur cette « boîte à outils » dans laquelle les maires pourraient piocher pour leur Police municipale ?

« Nous avons établi certaines propositions actuellement à l’étude qui seront proposées au ministre de l’Intérieur et nous verrons lesquelles seront retenues. Nous avons, notamment, demandé d’élargir la capacité donnée aux policiers municipaux de faire des contrôles d’identité. Aujourd’hui, ils ne peuvent pas les faire. Nous souhaitons aussi que les policiers municipaux puissent enfin accéder à certains fichiers. Il faut savoir que trois, quatre ans ont été nécessaires pour qu’ils puissent accéder aux fichiers des immatriculations de véhicules. C’était tout de même incroyable que les loueurs de voitures et les assurances puissent en bénéficier et que, dans le même temps, les policiers municipaux en soient privés ! Ils étaient obligés de contacter la Police nationale.

Nous l’avons obtenu mais nous voulons aller plus loin en demandant l’accès, bien évidemment là-aussi de façon très encadrée, au fichier des véhicules volés, éventuellement aux fichiers aussi des personnes recherchées. Ils peuvent être amenés à contrôler des personnes et ne pas savoir qu’elles sont recherchées. Cette absence d’information est susceptible de les mettre en danger. Nous demandons aussi de forfaitiser les verbalisations réalisées sur la base des arrêtés municipaux, donc des arrêtés de police du maire. C’est une simplification de la procédure. Et les policiers municipaux peuvent aussi se décourager… Nous voulons également rendre compétents judiciairement les policiers municipaux sur le traitement de quelques situations rencontrées. C’est cela qui avait été invalidé par le Conseil constitutionnel à l’époque et il faut réétudier cette demande et trouver les moyens d’aboutir.

Sur tout ce qui concerne les ivresses sur la voie publique, il faut savoir qu’aujourd’hui les policiers municipaux ne peuvent procéder à aucune verbalisation. Et là-aussi, ils doivent appeler l’OPJ. Il faut gagner du temps et de l’efficacité : lorsqu’ils sont à l’Hôtel de Police, ils doivent attendre que l’OPJ soit disponible. Je préférerais voir, pour ma part, les policiers municipaux sur le terrain. Il faut également qu’ils puissent appliquer des sanctions pour la consommation de stupéfiants, ce que l’on appelle les amendes forfaitaires délictuelles (AFD). Aujourd’hui, seuls les policiers nationaux peuvent en dresser, c’est-à-dire que les policiers municipaux qui interviennent sur une personne ayant sur elle des petits produits de stupéfiant se doivent, encore une fois, de contacter l’OPJ. Il en va de la simplification mais aussi de la crédibilité de l’autorité des policiers municipaux.

Et autant que les policiers nationaux se concentrent sur les gros trafics et laissent les policiers municipaux, sur certains endroits, être plus actifs. Je n’oublie pas non plus les AFD concernant les occupations de hall d’immeuble, les outrages sexistes… Il faut le faire de façon encadrée et notre doctrine réside dans le flagrant délit. Nous n’allons pas demander aux policiers municipaux de réaliser des enquêtes. Tout cela fait partie de la fameuse boîte à outils ».

Ne craignez-vous pas tout de même que l’État se défausse sur les communes d’une partie de ses prérogatives dans le domaine de la sécurité publique ?

« Nous avons rappelé que le maire, les élus locaux doivent rester au centre de la politique de sécurité locale parce qu’ils connaissent le terrain, les habitants, les lieux où il y a des problématiques, les horaires où les problèmes apparaissent. Les policiers municipaux aussi les connaissent puisqu’ils œuvrent en proximité. Cela fait également partie des choses intangibles qui ont été dites, droite et gauche confondues. Nous ne sommes pas là, comme je le disais plus en amont, pour se substituer à la Police nationale et à la Gendarmerie et avoir un transfert de charges. Après, la sécurité publique est de la compétence régalienne mais, parfois, entre sécurité et tranquillité publique, la frontière est ténue. Et les maires et les communes ont aussi des responsabilités à prendre.

La Ville de Dijon les a prises avec les caméras de vidéo-protection. Le ministre de l’Intérieur l’a évoqué : nous sommes un des centres de supervision urbain dernier cri le plus équipé en France qui est aussi utilisé par la Police nationale. Nous avons aussi pris notre responsabilité en professionnalisant notre Police municipale, en élargissant ses horaires d’intervention, en créant un groupe de soutien et d’intervention, en l’armant, en la formant mieux. Je n’oublie pas non plus les effectifs car, je le rappelle, bientôt nous accueillerons à Dijon le 100e policier municipal. Oui, nous avons notre part à prendre mais en complément de la Police nationale. Nous avons été précurseurs à Dijon avec les contrats locaux de sécurité, autrement dit des conventions de coordination pour le respect du rôle des uns et des autres ».

Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, a expliqué vouloir que « les maires soient de vrais producteurs de la sécurité du quotidien ». Étiez-vous en phase avec son intervention ?

« Sur beaucoup de points, j’étais en partie d’accord avec lui. Comme je l’ai dit lors des réunions que j’ai tenues sur la sécurité publique, ce n’est pas aujourd’hui une histoire de droite ou gauche. Il y a des mairies de droite qui n’ont pas armé leur Police municipale et des mairies de gauche qui l’ont fait. Cela dépend du territoire et de ses problématiques. Je mettrais juste une nuance sur le fait que le ministre ait omis la partie prévention. Il y a évidemment la répression, la sanction mais il ne faut pas oublier tout le travail de prévention, de médiation. Sinon c’est Sisyphe…

Il faut aussi travailler sur les causes, dans les quartiers, avec ce que l’on appelle la prévention primaire, le sport, la culture. Il faut mettre des moyens, des éducateurs… Cela n’excuse rien mais il peut y avoir un environnement qui fait que certains qui sont plus fragiles que d’autres, qui ont des difficultés, glissent dans la délinquance. Il ne faut pas oublier que ceux qui souffrent le plus des problèmes d’insécurité sont les populations les plus fragiles parce qu’elles n’ont pas les moyens de déménager ou d’acheter pour se sécuriser. C’est pour cela que les municipalités de gauche s’occupent aussi des questions de sécurité, de tranquillité. Comme je le fais… »

La question des économies demandées aux collectivités territoriales par le Premier ministre, Michel Barnier, a occupé le haut de l’affiche de ce Congrès des Maires…

« Les collectivités doivent fournir un effort considérable, et, à un moment donné, les villes les mieux gérées subissent le plus grand impact. C’est toujours les bons élèves qui sont pénalisés. François Rebsamen, qui préside la commission des Finances travaillant auprès de France Urbaine, essaye d’avoir des garanties… Il faut savoir qu’aujourd’hui, l’effort que l’on nous demande, puisque l’on parle de sécurité, correspond à l’ensemble des salaires des policiers municipaux ! Je rappelle que, contrairement à l’État, nous ne pouvons pas emprunter pour nos dépenses de fonctionnement. Et lorsque l’on regarde les chiffres, ce n’est pas la faute des collectivités territoriales si l’on se trouve dans cette situation budgétaire… Il faut bien sûr redresser les comptes publics et trouver des solutions mais les collectivités devraient beaucoup plus payer que leur contribution au déficit.

Et lorsque l’on dit que les collectivités dépensent trop ou investissent trop, l’on oublie que le mandat a commencé avec le Covid. Si bien que les investissements, qui ont été très faibles en 2020 et 2021, se sont reportés sur les années suivantes… Il ne faut pas prendre qu’un instantané de 2023, 2024, il faut tenir compte de tout le contexte. Il faut être responsable et il faut que la situation budgétaire s’assainisse mais ce n’est pas juste de tout faire porter sur les collectivités territoriales, et, qui plus est, sur celles qui gèrent bien.

Avec le président de Dijon Métropole, François Rebsamen, nous avons rencontré le président de la Fédération régionale des Travaux publics, Vincent Martin. Celui-ci nous a fait part de ses inquiétudes, car, si les investissements publics baissent, la filière des Travaux publics et les emplois qu’elle représente seront fortement impactés. Les collectivités territoriales participent aux services publics mais également à l’emploi local ».

Propos recueillis par Xavier Grizot