Depuis son enfance, Naïri Nahapétian, écrivaine et journaliste française d’origine arménienne en Iran, a été hantée par des questions sur son passé. Dans son ouvrage « Quitter Téhéran » publié aux éditions Bayard à Paris, elle explore les raisons qui ont empêché son père de quitter l’Iran après la révolution de 1979, alors que sa mère et elle ont réussi à partir lorsqu’elle avait neuf ans. Cette enquête personnelle et politique, qui a également éclairé la cause de sa dépression en 2018, est au cœur de notre entretien.
La question que vous portiez dans votre cœur pendant votre enfance a continué à vous préoccuper en tant qu’écrivaine et journaliste. Ce livre a-t-il pu répondre à vos questions ?
Naïri Nahapétian : « Quitter Téhéran reprend une enquête que j’ai menée pour comprendre pourquoi mon père est resté coincé en Iran alors que ma mère et moi avons réussi à partir après la révolution de 1979, plus précisément en août 1980. Je décrypte les raisons à la fois politiques et personnelles de cette situation. Cette séparation brutale avec mon père, alors que j’avais seulement neuf ans, a été l’une des causes de ma dépression en 2018, au moment où mon fils atteignait cet âge. »
Pouvez-vous décrire votre processus d’écriture pour ce roman ? Avez-vous rencontré des défis particuliers ?
« J’avais accumulé depuis des années des fragments autobiographiques sur mon ordinateur : souvenirs de mon enfance en Iran avant la révolution, événements marquants pendant la révolution, et notre arrivée en France avec ma mère. Je n’ai décidé d’en faire un livre que lorsque j’ai pensé les organiser sous forme d’enquête, avec pour fil rouge cette question : pourquoi mon père est-il resté en Iran alors que nous sommes venues en France avec ma mère ? Mes autres livres, souvent des romans policiers, revêtent aussi une forme d’enquête, mais écrire un récit autobiographique est beaucoup plus difficile car on expose des fragilités souvent dissimulées. »
Écrire en soi n’est pas une tâche facile. Dans quelle mesure écrire vous rassure-t-il ?
« Ecrire est une activité qui apporte beaucoup de paix car on ordonne le monde sur la page. »
L’Iran représente pour vous votre père, que vous avez laissé dans ce pays, même si vous l’avez revu en Amérique avant sa mort ?
« L’Iran représente peut-être mon père resté au loin mais aussi une enfance dorée, avant la révolution, à une époque où nous appartenions à l’élite du Shah. »
Où en est l’Iran aujourd’hui ? Pensez-vous que ce pays va changer dans un avenir proche après les événements de 2022 ?
« Le 16 septembre 2022, Mahsa Amini, mourait sous les coups de la police des mœurs à Téhéran pour un voile « mal porté ». Cet événement a donné naissance au mouvement « Zan, zendegi, azadi » (Femme, vie, liberté), une mobilisation sans précédent contre le régime, qui a reçu un écho international significatif mais a été violemment réprimée. Malgré la répression, de nombreuses femmes continuent de défier le régime islamique en sortant dans la rue sans le voile. Une des raisons de ce soulèvement était l’impasse politique créée par l’interdiction faite aux candidats réformateurs de se présenter aux élections législatives de 2020 et aux élections présidentielles de 2021, où seuls des candidats conservateurs ont été autorisés à participer.
En laissant Massoud Pezechkian, un réformateur, remporter les élections anticipées de juin 2024, les conservateurs menés par le guide suprême Ali Khamenei ont peut-être esquissé un compromis. Pourra-t-il impulser une ouverture dans le pays ? Une grande partie de la population reste sceptique. Nous verrons ce qu’il parviendra à accomplir, notamment concernant le dossier du nucléaire iranien. »
Mary Isaa
Crédit photo : Virginie Pérocheau