Michel Couqueberg et Pascal Lardellier : Dans le secret de l’atelier

L’un est un sculpteur animalier de renom, dont l’œuvre est exposée et vendue à l’international. L’autre, Professeur à l’Université de Bourgogne, est un auteur prolifique (25 ouvrages et essais à son actif), habitué des médias. Mais comment produisent-ils leur œuvre ? Comment créent-ils ? DLH a invité Michel Couqueberg et Pascal Lardellier à croiser leurs regards et échanger leurs points de vue sur l’activité de création, technique, matérielle et intellectuelle. Ils lèvent le voile, et nous laissent entrer dans l’atelier.

Comment vous définissez-vous, en quelques mots ?

Michel Couqueberg : « Je suis sculpteur professionnel et fête cette année 45 ans de sculpture animalière. Une carrière bien fournie avec une vingtaine de monuments en France, réalisés à mon atelier ; et une trentaine d’expositions en galeries. J’aime faire évoluer mon œuvre en fonction de l’époque et mon principe de création se déroule à partir du dessin, qui est pour moi le diamant de mes sculptures ».

Pascal Lardellier : « Enseignant-chercheur, c’est mon métier, et ma fonction à l’Université. Produire des recherches, les diffuser dans des cours, séminaires, conférences, interviews, articles, chapitres, là est le cœur de l’activité. Après, je me définis comme un artisan intellectuel. Nul paradoxe dans l’expression d’ailleurs ! Je vais y revenir ».

La création ? Sa définition, son processus…

M. C : « Pour moi, la création est un poème pétrifié. L’objectif de créer reste, pour ma part, une nourriture créative. Je dirai simplement qu’une œuvre d’art est mûre lorsque son processus créatif est ressenti au plus profond de moi. L’instant de création est souvent inattendu, fige toute la sensibilité de l’artiste et transfère des émotions intérieures. La recherche créative doit être personnelle et source d’équilibre, de sagesse et d’esthétique ».

P. L : « La création ? Dans mon cas, la production intellectuelle de quelque chose d’original, qui plaît, séduit et instruit. Faire de la recherche, c’est directement une activité de création pour moi. On part d’un questionnement, large et même vague. Et puis on va enquêter, analyser, décrire, écrire, et les choses prennent forme et sens lentement. On fait apparaître des contours, de plus en plus précis. On n’est pas très loin de la sculpture, je trouve ! Et puis un jour, les choses sont parfaitement visibles, lisibles. J’aime beaucoup donner des interviews (notamment en radio ou podcast désormais) et me dire : « tu as 3 min, 10 min, 15 min, pour restituer des mois de recherche, et donner des clés aux gens qui t’écoutent ».

Et votre création, c’est quoi au juste ?

M. C : « Pour moi, c’est le reflet de ma sensibilité artistique et personnelle. Pour créer, il faut être dans un état de réflexion et de recherche qui figera lignes et volumes. La création se cueille au moment où l’on ne s’y attend pas. Elle surgit de façon inopinée. Le fait de créer est un bonheur révélé par son créateur. Le moment de création est un instant inattendu qui surgit comme un éclair. Cet instant est magique. Ce jeu de rôle et d’attente est un moment de recherche désiré, qui fera surgir l’idée originale et personnelle ».

P. L : « C’est un façonnage, vraiment. On se pose une question de départ, et puis on va préciser, affiner, polir, lisser, jusqu’au moment où l’on se dit que ça semble être bon… Mais la création intellectuelle avance aussi par fulgurances. Un éclair, et Eureka !, on a la bonne formule, qui saisit l’ensemble ».

Production intellectuelle, création artistique : des différences, des similitudes ?

M. C : « Mon bestiaire imaginaire ne peut s’interpréter que dans une recherche personnelle et novatrice, s’appuyant sur des fondations, de la simplification des lignes et des volumes. Déplacer une ligne sur une de mes sculptures serait, pour Pascal, de déplacer des mots dans un de ses textes ; apportant un non-sens à la construction littéraire et, pour le sculpteur, une déformation de son émotionnel et du ressenti artistique. Pour le sculpteur, l’outil est le prolongement de la main ; ainsi pour l’écrivain, c’est le crayon qui fige sa pensée ».

P. L : « Michel travaille avec de la « vraie matière », il donne forme à des matériaux, qui vont, par une alchimie qui me fascine, prend corps, évoquer, par l’épure des lignes, des animaux, des mouvements, et même des émotions. Moi, je travaille avec des idées, des mots, des concepts. Il va falloir les ordonner, les organiser, les mettre en musique, pour produire quelque chose de cohérent, et surtout, d’intelligible. Parfois, on capte quelque chose de général dans un concept ou une locution… On sait qu’on a saisi une part de la réalité, et qu’on la livre à ses publics (universitaires, sociaux, médiatiques…) comme une clé. C’est satisfaisant ».

Comment créer ? Quelles sont les conditions nécessaires pour être « disposé à créer » ?

M. C : La création ne se commande pas, elle se dévoile en s’appuyant sur la nature et ses environnants, au moment où son créateur imagine de nouvelles formes et une nouvelle interprétation. La nécessité de créer passe par des étapes d’observation. Dans une deuxième étape, sera l’interprétation qui prendra une place pour engager physiquement une nouvelle idée novatrice. Plus la ligne est simple, plus il y a de force et beauté ».

P. L : « Ah, là, on rentre dans le secret de l’atelier ! On ne crée pas sur commande, ou n’importe où. Il faut que certaines conditions soient réunies : de solitude, de calme, de durée (avoir au moins deux heures devant soi), avec des « camarades d’écriture » qui m’accompagnent depuis toujours : Bach joué par Glenn Gould, ou les compositions soft de Chet Baker. La musique ouvre sur une autre dimension, offre la possibilité d’être transporté, elle « aligne » intérieurement. Bien sûr, parfois ça marche, et parfois pas, ça serait trop simple, sinon. Mais en amont de l’écriture, qui met en forme et en style la pensée, il y a un travail préparatoire de lecture, de prise de notes, d’organisation des idées en chapitres et parties, qui peut être mené en dehors de ce contexte privilégié et heureusement ».

Pourquoi créez-vous ?

M. C : « Pour moi, c’est un besoin nécessaire, de retrouver et d’imaginer une nouvelle écriture graphique qui marque une époque. J’ai compris que la création est le seul chemin essentiel d’une œuvre. Le visible ne s’interprète que par rapport à l’invisible ; l’invisible ne se voit pas, il se cherche au plus profond de son créateur. La découverte intérieure d’une nouvelle création met son créateur dans un état où rêve et bonheur sont présents. « Créer, c’est vivre deux fois » selon Albert Camus ».

P. L : « Pour faire ce pour quoi je suis payé, déjà. Et puis pour la gratification que cela procure, d’être un « passeur d’idées » ; enfin, pour cette intuition de pouvoir laisser, et léguer quelque chose de l’ordre de l’immatériel, l’idée d’avoir posé des jalons, utiles pour comprendre notre monde en mouvement, et en métamorphose. Rencontrer un étudiant qui 10 ou 15 ans après, vient vous dire spontanément sur un quai de gare ou dans un magasin qu’il aimait vos cours, ou faire la connaissance de lecteurs attentifs de son travail, c’est une vraie joie, et l’essence du métier : la transmission au long cours… ».

Propos recueillis par Pierre Solainjeu

Pascal Lardellier est Professeur à l’Université de Bourgogne (IUT de Dijon, département MMI, « Métiers du Multimédia et de l’Internet », laboratoire CIMEOS) depuis 23 ans. Il est l’auteur de 25 ouvrages, consacrés à la rencontre amoureuse en ligne, à la culture numérique, aux formes et fonctions des rites dans notre société, au « non-verbal », entre autres. Et a fait soutenir 40 thèses et HDR (Habilitations à Diriger des Recherches), a organisé plus de cinquante colloques et journées d’études en Bourgogne, a représenté son Université dans plus de 40 pays (conférences…). Il s’exprime très régulièrement dans les grands médias.

Michel Couqueberg est un sculpteur animalier bourguignon de premier plan. Il poursuit depuis plus de 40 ans une œuvre originale et singulière dans son atelier d’Orgeux, s’inscrivant dans la lignée de François Pompon. Ses œuvres, tout en lignes épurées et stylisées captant le mouvement et l’émotion, ont fait l’objet de maintes expositions internationales, d’ouvrages d’art, et d’achats par nombre de collectivités et institutions.

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