Antoine Hoareau : « Une précarisation plus importante »

Le 92e congrès de lUnion nationale des centres communaux daction sociale vient de se tenir à Bourges. De retour de cet événement sur fond de lutte sociale dans notre pays, Antoine Hoareau, vice-président du CCAS de Dijon, nous éclaire sur les attentes au niveau national mais également sur le rôle essentiel de la structure dijonnaise dans le contexte de précarisation actuelle.

Le Congrès de lUNCCAS dont vous êtes vice-président, fut particulier, eu égard aux tensions sociales inhérentes à la lutte contre la réforme des retraites… 

«  Le contexte social est évidemment prégnant. La mobilisation très importante contre la réforme des retraites, contre cette décision incroyable, impensable ou inique de repousser l’âge légal de la retraite de 2 ans, a montré, qu’au-delà de la question simple du travail et de la protection sociale, il y a un vrai enjeu social exprimé par nombre de manifestants. Et je dois saluer l’intersyndicale et l’unité syndicale toute entière qui se mobilise contre la réforme des retraites mais plus généralement pour améliorer les conditions sociales dans notre pays. Et les CCAS sont effectivement en première ligne comme cela a encore été démontré durant les deux jours de ce Congrès ».

 

Durant ce Congrès fut dévoilé le Baromètre de laction sociale dans lHexagone. Quels sont été ses principaux enseignements ?

« Ce Baromètre démontre un certain nombre de choses : tout d’abord 1 Français sur 5 a déjà eu recours au CCAS de sa commune. Et surtout, loin devant toutes les autres collectivités, la commune est identifiée comme étant le premier rempart contre les difficultés sociales. Autrement dit cela renforce, cela conforte le rôle des CCAS et leur implication dans la protection sociale de proximité ».

 

A Bourges, lUNCCAS a exprimé en substance que les CCAS soient plus que jamais au cœur du Pacte social

« J’ai la chance d’être vice-président de l’Union nationale des CCAS et donc de travailler, dans cette Union à faire en sorte de trouver des solutions pour améliorer de manière générale la vie politique sociale en France. Nous attendons avec impatience la présentation du nouveau Pacte des solidarités qui doit succéder au Plan de lutte contre la pauvreté. Cette présentation du Pacte est repoussée semaine après semaine et nous commençons à nous en inquiéter. Le ministre des Solidarités n’a pas fait le déplacement à Bourges. Si bien que nous sommes dans une position d’attente puisque le gouvernement doit faire des annonces mais, malheureusement, elles n’ont de cesse d’être retardées. Je suppose que le conflit actuel ne permet pas au gouvernement de dévoiler ses orientations, néanmoins nous attendons ces orientations et en particulier avec impatience celles sur la relation entre l’État et les collectivités. Nous souhaitons pouvoir contractualiser avec l’État sur les politiques sociales afin de faire en sorte que les CCAS soient reconnus comme l’acteur social de proximité de l’action sociale ».

 

La crise sanitaire liée au Covid avait déjà montré que les communes représentaient un échelon primordial ?

«  La crise sanitaire a simplement éclairé des situations qui existaient déjà et montré l’importance et le rôle primordial des collectivités, en particulier de la commune. Il fut ainsi beaucoup question du couple maire-préfet durant la crise sanitaire et, encore aujourd’hui, nous appelons encore tous de nos vœux le renforcement de cette identification entre le rôle de l’État qui assure le Pacte républicain et donc l’accès à tous à une protection sociale de qualité et la commune qui représente la cheville ouvrière de la mise en œuvre de ce Pacte social républicain en accueillant toutes les personnes. Et à Dijon en particulier avec les Points d’accès au Droit… Nous sommes en première ligne et la crise sanitaire n’a été que le révélateur du rôle primordial des communes et des CCAS dans le maintien de la cohésion sociale et surtout dans la protection sociale des personnes les plus fragiles ».

 

Et le CCAS a été le levier du Plan durgence sociale mis en place à Dijon

« Oui, à Dijon, nous avons voté un Plan d’urgence sociale de 1,3 M€ au moment la crise sanitaire qui s’est déployé par un certain nombre de mesures et, en particulier, le renforcement des moyens accordés au CCAS pour apporter une aide concrète aux personnes les plus en difficulté. Trois ans après le début de la crise sanitaire, après les déconfinements, on voit tout le rôle du CCAS pour recréer du lien envers les personnes les plus isolées. Toutes les activités collectives que l’on peut proposer à la fois aux seniors mais également à toutes les personnes seules, grâce au programme de manifestations organisées par le CCAS, leur permettent de voir du monde et de faire partie de la ville et de la vie de la cité ».

 

Votre action auprès des seniors isolés nest plus à prouver

« Bien-sûr. Nous avons plusieurs dispositifs à Dijon. Nous avons certes le Plan canicule qui est réglementaire mais nous nous en sommes inspirés pour créer le dispositif Seniors en contact. Nous avons pour les personnes les plus isolées des contacts réguliers qui sont établis par les professionnels et les bénévoles du CCAS. Nombre d’activités et d’animations destinées aux séniors permettent également de maintenir ce lien essentiel. Nous venons également de créer deux nouveaux dispositifs appelés O’ Programme et O’ Resto grâce auxquels les personnes n’ayant pas de grosses retraites, qui ont des moyens financiers limités et qui sont isolées, de pouvoir sortir au restaurant ou bien d’aller voir des spectacles musicaux ou de l’art vivant à un coût modique ».

 

On la aussi bien vu durant le Covid. Les seniors ont été particulièrement fragilisés mais les jeunes ont subi de plein fouet cette crise et ses répercussions

« Les étudiants ne relèvent pas réglementairement du CCAS puisque nous accueillons les personnes à partir de 25 ans. Mais nous travaillons avec le CROUS qui a la responsabilité des étudiants et de leur accompagnement social. Et je dénonce, avec le maire et président de Dijon métropole, François Rebsamen, ainsi que tous nos collègues, une carence du CROUS en terme d’accompagnement social. Il faut savoir que pour les 40 000 étudiants dijonnais il n’y a que 2 assistantes sociales au service social du CROUS. Il y a 5 postes mais seulement 2 sont pourvus.  C’est inadmissible ! Cela crée des difficultés extrêmement importantes, à tel point que l’Université de Bourgogne qui n’a pas à faire de l’action sociale a créé une commission solidarité pour subvenir aux carences du CROUS. Nous continuerons de dénoncer ces difficultés qui ne relèvent pas des agents du CROUS qui font ce qu’ils peuvent. Mais il y a des décisions à prendre pour que les postes qui sont ouverts soient effectivement occupés par des professionnels ! »

 

Pouvez-vous nous rappeler combien le CCAS de Dijon comptent dagents ?

« Le CCAS est intégré dans la Direction de l’action sociale et celui-ci compte environ 130 agents.   Le CCAS travaille en lien étroit avec le Service social métropolitain créé suite au transfert de compétences du Département. Nous avons développé en 2021 des Points d’accès au Droit. Ils sont au nombre de 4 répartis sur le territoire de la ville de Dijon ainsi que 4 supplémentaires dans la métropole. L’objectif est que les professionnels de l’accompagnement social de la métropole et des CCAS des communes travaillent ensemble afin d’apporter des réponses à toutes les problématiques que les gens peuvent rencontrer. C’est une sorte de guichet unique de l’action sociale avec un accueil généraliste ouvert à toutes et tous »

 

Les demandes auprès du CCAS affichent-elles une hausse de taille ?

« Les chiffres du CCAS démontrent une chose : en terme d’aide sociale que l’on peut apporter, et notamment sur les situations d’urgence, nous n’avons pas forcément une augmentation du nombre d’aides délivrées, en revanche, nous avons une augmentation des montants. Ce qui veut dire que les inégalités se creusent et que les personnes qui sont précaires le sont de plus en plus. Nous avons vu que l’ensemble du « quoi qu’il en coûte » a permis réellement de limiter la casse pendant la crise sanitaire. Je le dis en toute objectivité. Mais par contre pour les personnes qui étaient déjà en situation de précarité, la situation s’est aggravée. En matière d’aide alimentaire, les paniers moyens de ce que l’on peut distribuer sont passés de 80 € à 140 €. C’est certes au regard de l’inflation mais c’est aussi parce que l’on a une précarisation plus importante ».

 

Linflation des tarifs de lénergie na pas dû arranger la situation ?

«  Nous constatons toutes et tous l’inflation lorsque l’on fait nos courses. Pour les personnes qui avaient déjà des difficultés à s’alimenter, cela n’a pas amélioré la situation. En ce qui concerne la hausse de l’énergie, nous avons constaté deux phénomènes. Nous avons déjà vu arriver des personnes qui n’étaient plus dans les tarifs réglementés et nous avons activé des dispositifs. Je pense en particulier au Fonds de solidarité logement (FSL) géré par Dijon métropole. Pour les personnes qui sont au tarif réglementé, les premières factures de régulation vont tomber et, là, malgré le bouclier tarifaire et la limitation à 15% de de la hausse des tarifs de l’électricité et du gaz, nous devrions voir arriver de nouvelles personnes concernées. Si bien que nous avons anticipé et voté un budget en 2023 qui nous permet d’avoir les moyens de pouvoir répondre aux nouvelles sollicitations ».

 

Quel est le budget du CCAS ?

« Le budget du CCAS est un budget qui est sein comme tous les budgets de la Ville et de la métropole. Il est de l’ordre de 11 M€, avec, comme plus importante recette, la subvention de la Ville de Dijon qui représente 6,5 M€. Et nous avons un certain nombre de revenus liés à l’activité du CCAS. Je pense en particulier à deux services importants auxquels nous tenons : le service interne en régie de livraison de repas à domicile pour les seniors et la résidence Abrioux qui a été entièrement reconstruite et rénovée et qui fonctionne très bien. Je rappelle qu’elle a montré son utilité au moment de la crise des réfugiés ukrainiens ». 

 

Depuis votre prise de fonction en 2020, comment avez-vous perçu lévolution de la situation sociale ?

« Lorsque j’ai pris mes fonctions en 2020 nous étions en pleine crise sanitaire et nous n’avions pas une vue exhaustive de la situation. Aujourd’hui, nous voyons des phénomènes qui existaient avant et qui reviennent. Je pense en particulier à la question du sans-abrisme qui est certes une compétence régalienne mais, en réalité, si les collectivités ne sont pas là, rien ne se fait. nous avons dernièrement organisé la Nuit de la solidarité et nous nous sommes rendus compte qu’en un an le nombre de personnes sans solution d’hébergement a doublé. Nous sommes passés de 10 l’année dernière contre 20 aujourd’hui. Certes, vous me direz que sur une ville de 160 000 habitants, c’est peu, mais c’est toujours 20 de trop. Cela montre bien qu’il faut que l’on adapte nos dispositifs avec l’État pour pouvoir répondre à ces demandes. C’est ce que nous faisons sur la rue des Corroyeurs et l’accueil des SDF car nous sommes en train, avec la SDAT, l’État et la Ville, de reconstruire entièrement le centre avec des conditions d’accueil et d’hygiène bien meilleures que ce qui existait précédemment. Nous le faisons déjà parce que c’est notre volonté politique et ensuite parce que, dans notre ville, chaque personne doit pouvoir trouver une réponse à ses besoins et même les personnes qui sont à la rue. C’est une utopie, 0 personne à la rue, mais, en attendant, si l’on ne se fixe pas cet objectif, on ne fait rien ! Nous mettons en œuvre tout ce que l’on peut afin d’y arriver ! »

 

Propos recueillis par Camille Gablo