Jean-Pierre Perrin, natif de Dijon, a commencé « ses classes » au sein des Dépêches, un quotidien depuis longtemps disparu qui couvrait une partie de la Bourgogne et de la Franche-Comté. Déjà à ses débuts, il bouillonnait d’idées et était taraudé par une furieuse curiosité pour tout ce qui concernait le Moyen-Orient.
C’est ainsi que tout jeune journaliste, la rédaction médusée le vit partir, sans autre viatique qu’un gros sac-à-dos pour rencontrer Massoud le célèbre commandant patchoune… Né baroudeur à vie, aujourd’hui il est en retraite sans l’être – ce qui n’étonne aucun de ses proches. Son tout nouvel essai « Kaboul, l’humiliante défaite » paru aux éditions Equateurs est passionnant, dérangeant, esquissant les perspectives qui guettent un pays envahi, convoité depuis plus de mille ans pour des raisons diverses et variées.
A la liste des multiples activités de Jean-Pierre comme correspondant de guerre à l’AFP, puis de grand reporter au journal Libération, ajoutons des récits d’actualité, des romans policiers qui jalonnent une vie kaléidoscopique. Sans oublier de nombreux ouvrages où il nous parle de « ses » guerres au Proche-Orient, en Irak, en Iran, mais aussi de tout ce qui est ignoré dans les reportages télé et que l’on retrouve dans ses écrits : les odeurs, les sentiments, la beauté aride de la terre, la féerie des villes telle Palmyre, qui fut et n’est plus. Il insiste sur le sens sacré de l’hospitalité des habitants de ces régions qui, tout en étant parfois usagers de technologies modernes, n’en demeurent pas moins profondément inféodés à une culture clanique dictant la conduite de la guerre, les modes de vie ou la conception d’un islam radical – qu’il soit chiite ou sunnite…
La qualité des analyses, l’esprit de synthèse, la connaissance du terrain ont valu à Jean-Pierre Perrin, en 2007, le prix Joseph Kessel pour son récit « Le djihad contre le rêve d’Alexandre ». Aujourd’hui, il publie « Kaboul l’humiliante défaite » aux éditions Equateurs, récit tragique du cataclysme déclenché par le départ « indigne » des Américains qui a mis plus bas que terre l’Afghanistan (les femmes notamment) en laissant le champ libre à des talibans « nationalistes » et donc… opposés aux dirigeants d’Al Qaïda qui, eux, guerroient pour étendre un islam sans frontières ! C’est dire l’imbroglio dans lequel sont plongés les populations ainsi que le nouveau régime instauré par Mohammad Hassan Akhund.
Jean-Pierre élargit ce contexte politique, économique du pays, en remontant loin dans l’histoire depuis l’implantation de monastères bouddhistes au 3ème siècle après JC, puis l’invasion des territoires afghans par Gengis Khan entre 1216 et 1218. De nos jours, la barbarie du Mongol se retrouve dans la mainmise des talibans sur le pays, sur les vestiges de services publics gangrénés, sur un système de santé à l’agonie…
Une connaissance profonde de ce carrefour aux mille et une routes
Aux cours des chapitres suivants, Jean-Pierre Perrin formule les interrogations suivantes : les Afghans – qu’ils soient hommes ou femmes du peuple, talibans ès « docteurs en théologie » formés au Pakistan, chefs de guerre, mandrins du narco-terrorisme – ne sont-ils jamais loin de la tragédie grecque des Atrides ? Sont-ils maudits à jamais ? Sont-ils à jamais broyés par des enjeux géopolitiques dictés au cours des siècles par les Ottomans, les Britanniques, les Russes, puis les USA et désormais la Chine – via le Pakistan ?
Ses quelque 40 séjours en Afghanistan lui valent une connaissance profonde de ce carrefour aux mille et une routes – dont la stratégique route de la Soie de Xi Ping. L’ouvrage sur la chute de Kaboul dépeint les vies d’un peuple de paysans-guerriers dans des montagnes, dans des vallées situées au point de rupture entre des blocs politiques ou religieux jusqu’au fanatisme. Nombre d’entre eux risquent d’être engloutis par la tectonique des plaques que sont les factions, pour qui, tout manquement à la charia trouve sa finalité dans les massacres ! Jean-Pierre Perrin démontre comment cet endémique foyer sismique a finalement eu la peau de l’armée américaine hyper puissante, bourrée de technologie jusqu’à « l’obésité » pour reprendre l’expression de l’auteur … Comment également a été tué dans l’œuf la « nation building » – émergence d’une classe afghane moyenne éclairée appuyée puis abandonnée par les USA... En effet, le journaliste nous donne les clefs de compréhension de l’échec retentissant américain lié à l’hubris incroyable des chefs d’état-major, lié également aux revirements des différents présidents de Bush à Joe Biden. Ni ces « gendarmes du monde » ni l’Otan n’avaient imaginé qu’ils pourraient être vaincus par des hordes de paysans ou de chefs factieux analphabètes, démunis au départ du conflit de tout armement moderne. De cette funeste gabegie dans l’histoire moderne, Jean-Pierre Perrin conclut son ouvrage « Kaboul, l’humiliante défaite » sur l’avancée dangereuse de la Chine, sur la renaissance fulgurante du trafic des narco-terroristes, ainsi que sur les Afghanes privées de soins et d’école et bien évidemment sur l’omniprésence d’un clanisme autodestructeur…
Marie-France Poirier