Clash Hanouna / Boyard en direct : Poubelle la vie

« Touche pas à mon poste » (TPMP), l’émission animée chaque soir sur C8 par Cyril Hanouna, est ce qu’on appelle communément un talk-show. On y parle de tout et de rien. Surtout de rien d’ailleurs. Ces petits riens dont chacun des nombreux chroniqueurs s’est fait une spécialité. Ces experts en futilités, en grand n’importe quoi et en fake news. Plus c’est gros, plus ça passe. L’important étant de faire le buzz.

Le principe est extrêmement simple. Chaque soir, plusieurs sujets d’actualité sont évoqués. Si possible des thèmes bien graveleux, des dossiers glauques, voire franchement dégueulasses, des faits-divers qui illustrent la misère humaine. Par exemple, le meurtre immonde de la petite Lola, qui a bouleversé le pays, ou la polémique sur l’Ocean Viking, ce bateau de migrants accueilli en France après de longs atermoiements internationaux.

L’objectif est clair : faire de l’audience d’abord, du buzz ensuite. TPMP est en effet une machine à cash pour C8, une chaîne du groupe Canal +, propriété de Vivendi, détenu par Vincent Bolloré. Plus les téléspectateurs regardent l’émission, plus on en parle sur les réseaux sociaux et plus les pubs se vendent bien et cher.

TPMP n’est pas une émission scientifique, politique ou littéraire. Ce n’est pas une émission où les invités s’écoutent. On est plus sur les borborygmes avinés d’un PMU que sur les débats policés et respectueux d’un club de lecture. Une arène pour des jeux du cirque où l’animateur peut crucifier en direct un gladiateur qui aurait eu le malheur de lui déplaire. Une tribune où ceux qui braillent le plus fort ont toujours raison.

Ce constat étant posé, tous les invités savent pertinemment où ils mettent les pieds quand ils décident de répondre favorablement aux sollicitations d’Hanouna. Le trublion de C8 ne prend personne par surprise.

Présent sur le plateau de TPMP jeudi 10 novembre dernier, Louis Boyard connaissait donc parfaitement les règles du jeu. D’autant plus que le tout nouveau député LFI du Val-de-Marne fut il n’y a pas si longtemps un chroniqueur régulier de l’émission. Lui le pourfendeur des Bolloré et autres « milliardaires qui tiennent les médias en laisse » en a donc croqué. Lui le petit bourgeois à l’enfance aisée, devenu néo-révolutionnaire, a été le salarié du riche entrepreneur qu’il déteste tant.

Etudiant en droit, élu député à l’âge de 21 ans, le petit Louis a mis son cursus universitaire entre parenthèses pour se consacrer entièrement à son mandat parlementaire. Au moins, grâce à sa confortable indemnité, le gamin ne sera-t-il plus obligé de vendre de la drogue pour subvenir à ses besoins, comme il l’avait lui-même avoué dans TPMP. L’université Paris-Panthéon-Assas a probablement perdu un élément remarquable mais la vie politique nationale a assurément gagné une figure rare et érudite.

Car Louis Boyard, spécialiste de rien, a un avis sur tout. On a pu s’en rendre compte sur les bancs du Palais-Bourbon et sur les réseaux sociaux où, à l’instar de certains de ses collègues de la NUPES, il ne perd pas une occasion pour éructer et vociférer avec la fougue et la certitude de sa jeunesse. La plupart du temps pour raconter des âneries. Pas grave. L’objectif étant de faire parler de soi.

Et on a pu s’en rendre compte sur TPMP où il est intervenu, jeudi 10 novembre, en tant qu’invité. Interrogé sur l’Ocean Viking et le sort des migrants, Louis Boyard a tiré à boulets rouges sur tous les méchants milliardaires qui appauvrissent l’Afrique. Et parmi eux, Vincent Bolloré. Qu’un ancien salarié dudit Bolloré se permette de mordre la main de celui qui l’a nourri, en direct sur sa propre chaine, fallait oser. Mais comme le disait fort justement le regretté Michel Audiard : « Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît ».

Forcément, la réaction de Cyril Hanouna fut à la hauteur de l’affront. Grand copain de Yannick Bolloré, fils de Vincent, l’animateur a complètement dégoupillé en direct, n’hésitant pas à insulter vertement le bouillant freluquet. « Espèce d’abruti », « t’es une merde », « t’es un nase », « ferme ta gueule », j’en passe et des meilleurs. La richesse de vocabulaire de l’animateur vedette de C8 étant inversement proportionnelle au volume de son compte en banque. L’impétueux gamin fut ensuite évacué manu militari de l’arène bolloresque sous les lazzis et les hourvaris d’une foule en délire. Des cris et du sang, tous les éléments du cahier des charges de l’émission de télé poubelle respectés à la lettre.

Et ensuite ? Dépôts de plainte de part et d’autre. Mises en demeure. Nouvelles insultes. « Espèce de raciste » d’un côté. « Et la liberté d’expression ? » de l’autre. Enquête de l’autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). Ça fait plus de trois semaines que le bazar alimente quotidiennement les médias. C’est vrai que, pendant ce temps, on ne parle plus du sort des migrants qui ont débarqué à Toulon.

Alors, vous savez, je suis une femme d’un certain. Pour m’occuper, je regarde beaucoup la télé durant mes longues journées. J’avoue, il m’est arrivé de zapper sur TPMP. Ce n’est pas du tout ma tasse de thé. Je n’irais pas jusqu’à dire que « c’est d’la merde » comme le criait feu Jean-Pierre Coffe. Mais pas loin.

Je m’interroge sur le clash entre Hanouna et Boyard. Je m’interroge sur ces émissions qui cartonnent auprès des jeunes. Mais je m’interroge aussi sur les élus qui se sentent « obligés » d’y aller pour pouvoir parler à une jeunesse hermétique à la politique. Cette télé poubelle. Poubelle, la vie…

Jeanne Vernay