Salaire de la Sueur / Salaire de la Peur : Pas la même feuille de match !

Il est salutaire de cesser de se regarder le nombril à coups de selfies débiles et de se pencher sur la trop grande partie de l’humanité qui, aujourd’hui, bosse pour un salaire dérisoire au risque d’en crever à petit feu. Et ce, pour assurer nos modes de vie douillette ou l’outrance d’une consommation décidée depuis l’olympe du digital par les manitous des GAFA, par les dieux de l’algorithme, de les Diafoirus de l’intelligence artificielle, voire les trolls du transhumanisme. Tous ces appendices artificiels de la vie impliquent l’exploitation de travailleurs chargés de l’extraction du gaz de schiste, du nickel, du lithium, du cobalt entrant dans la composition des smartphones ou des technologies les plus avancées de la dictature du numérique. N’omettons pas sur cette liste létale les mines de charbon, remises au goût du jour depuis le conflit Ukraine/Russie – sans que cela dérange le moins du monde ni les écolos patentés ni les acteurs de la Cop 27.

« Le Salaire de la Peur », film iconique de Clouzot en 1953, n’a rien perdu de sa charge explosive de nitroglycérine : dans cet univers-là d’un noir absolu comme l’œuvre de Pierre Soulages, le Diable des temps actuels envoie toujours au casse-pipe des travailleurs enfants ou adultes contraints pour leur survie à un job « merdique » et dangereux – que ce soit d’ailleurs dans les pays hypocritement baptisés « émergents » ou dans les zones underground de notre Occident pas lisse pour un sou. Doit-on parler d’un « Salaire de la Peur » ou risquer au minimum le mot d’un « Salaire de la Sueur » ? Toute cette humanité n’a pas la trempe, la coriacité, la rage d’exister d’un Inacio Lula da Silva, né dans la misère, condamné pour corruption sous l’ère Bolsonaro, et qui vient de se hisser pour la troisième fois à la présidence du Brésil… Rares sont ceux qui sortiront du trou à rats qui leur a été assigné dès la naissance.

Mais revenons à nos contestataires « made in France » de la branche chimie CGT ou du syndicat Sud qui, à juste titre sans doute, se sont émus – le mot est faible – du salaire pharaonique de 5,9 millions d’euros du PDG de Total Energie, Patrick Pouyané, ainsi que de la répartition du bénéfice record en 2021 aux actionnaires de ce groupe pétrolier – l’un des leaders mondiaux. Même si ses plus de cent mille salariés répartis dans le monde entier sont plutôt bien rémunérés, il n’est pas déraisonnable de s’étonner qu’ils n’aient pas bénéficié, au même titre que les dits actionnaires, d’un petit chouia de cette manne pétrolière ou gazière. Les consommateurs que nous sommes sont également en droit de s’interroger…

Halte-là ! Ne nous trompons pas : Patrick Pouyanné a beau s’être octroyé via son conseil d’administration une augmentation de salaire de 52%, il n’est pas l’homme le mieux payé de France. Curieusement les médias et les forts en gueule de la NUPES se gardent bien d’évoquer toute la noria de certains très-très hauts salaires. Pourquoi ? La raison en est aussi simple que simpliste : pas question de prendre position dans le domaine réservé du politiquement correct ! Pas question donc de toucher à un Kylian Mbappé, pas plus d’ailleurs qu’à certains peintres ou sculpteurs dont on s’apercevra, d’ici à 50 ans, qu’ils n’avaient rien de si transcendantal… Or la réalité est parlante : le joueur français touche plus de 200 millions d’euros par an (cela ne comprend que son contrat avec le PSG). Il est aujourd’hui le joueur le mieux payé du monde, loin devant Neymar qui détenait jusque-là le record. Je ne doute pas que Mbappé ou d’autres virtuoses du ballon possèdent une immense intelligence du terrain. Certes, leurs « Salaires de la Sueur » rapportent beaucoup d’impôts à l’Etat français – sans commune mesure avec le « Salaire de la Peur » de ces miséreux surexploités des mines, des carrières ou des concessions de cobalt, d’uranium ou de zinc.

Enfin, remettons une couche sur nos éminences du foot qui n’ont pas la responsabilité d’assurer des centaines de milliers d’emplois, à l’instar d’un grand dirigeant d’entreprise. Quant à cet autre dieu du stade, Karim Benzema notre nouveau Ballon d’Or, il serait de la dernière inélégance de suggérer qu’il n’a pas le charisme de l’abbé Pierre. Là encore, discrétion oblige ! Le foot demeure l’une des dernières religions d’une époque païenne… Prière de se référer à l’Épître de Saint-Paul (11.33) aux Romains afin de psalmodier à la mi-temps de chaque match : « Quelle profondeur dans la richesse, la sagesse et la science des Dieux du gazon! Leurs décisions sont insondables, leurs chemins sont impénétrables ! ».

Marie-France Poirier