Comédie dramatique française de Cédric Klapisch, avec Marion Barbeau, Hofesh Shechter, Denis Podalydès, Muriel Robin, Pio Marmaï, François Civil et Souheila Yacoub.
Elise (Marion Barbeau), 26 ans est une grande danseuse classique. Elle se blesse pendant un spectacle et apprend qu’elle ne pourra plus danser. Dès lors sa vie va être bouleversée, Elise va devoir apprendre à se réparer… Entre Paris et la Bretagne, au gré des rencontres et des expériences, des déceptions et des espoirs, Elise va se rapprocher d’une compagnie de danse contemporaine. Cette nouvelle façon de danser va lui permettre de retrouver un nouvel élan et aussi une nouvelle façon de vivre.
Alors que notre monde s’écroule et que Will Smith n’est pas à l’abri de nous mettre une grande claque dans la gueule, Cédric Klapisch lui continue d’y croire, et autant vous dire que ça fait du bien ! Croire en l’humanité, croire en l’art, croire au cinéma. Le cinéaste bienveillant du lien et de la jeunesse nous livre son quatorzième opus sur grand écran, avant sa série colocative SALADE GRECQUE, que l’on pourra déguster sur Prime Vidéo en 2023. Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour l’heure, il fait froid dehors, et une longue file d’attente se presse aux portes du Darcy pour un spectacle qui sera applaudi lors du générique final.
Une immersion au cœur du spectacle
EN CORPS (2022) débute de façon très audacieuse par un quart d’heure sans dialogue, lors d’une représentation de La Bayadère où Élise, son héroïne trentenaire se blesse. Ce parti pris de départ permet au spectateur de s’immerger dans la danse, sans être distrait par des dialogues superflus. Klapisch reprend les techniques du cinéma muet, en faisant confiance totalement au « langage du corps ». Il nous embarque par l’esthétisme de ses scènes, la musique, le décor, le spectacle, la danse. Pour la scène d’ouverture, le réalisateur part de tableaux par nature très classiques et codés : « J’ai eu très tôt cette idée de commencer EN CORPS par un ballet classique et de le clore par un ballet contemporain. Comme dans un effet de miroir, tout s’oppose mais tout est uni. Dans les couleurs comme dans l’architecture du Théâtre du Châtelet et celle de la Grande Halle de la Villette. Je n’ai pas pour autant filmé La Bayadère comme une représentation de danse classique. Avec ma caméra, je me suis concentré sur ce qui se passe dans la tête et par ricochet dans le corps d’Élise. Le début est lié à une sorte de combat entre le rouge et le bleu, entre le chaud et le froid. »
Issue du Corps de Ballet de l'Opéra de Paris, où elle danse de nombreux grands classiques du répertoire, la danseuse Marion Barbeau tombe sous le charme de la danse contemporaine avec la pièce d’Hofesh Shechter The art of not looking back en 2018. C’est là qu’elle croise le chemin de Cédric Klapisch, qui réalise alors la captation du ballet. Cela tombe bien, le cinéaste souhaite engager une danseuse qui apprendrait la comédie, plutôt que le contraire. Maîtrisant à la fois la danse classique et la danse contemporaine, Marion Barbeau est retenue lors des auditions pour interpréter le premier rôle dans EN CORPS. Elle apprend à jouer face caméra, à utiliser sa voix, et à trouver la justesse du geste. La présence du chorégraphe Hofesh Shechter et des danseurs, Germain Louvet, Alexia Giordano, Damien Chapelle, Mehdi Baki, Léo Walk, témoignent de cette volonté de faire de la danse l'intrigue principale du film. EN CORPS est un véritable hommage à la danse, qu'elle soit classique, contemporaine, moderne ou hip-hop, sublimée lors de longues scènes de représentations et de répétitions.
Hofesh Shechter, danseur et chorégraphe israélien mais aussi compositeur pour ses propres spectacles, participe au film de Cédric Klapisch. Sa partition convoque le mélange des cultures en associant orchestre classique, percussions et guitares rock, samba brésilienne, notes orientales, chants tribaux et sonorités électroniques. Pour lui, « EN CORPS est une lettre d’amour à la danse et les danseurs. Je n’ai jamais vu une fiction cinématographique accorder autant de place au processus de création comme au quotidien des danseurs. Il y a quelque chose d’incroyablement poétique dans le regard que Cédric porte sur cet art et ceux qui le pratiquent comme dans son envie de le transmettre aux spectateurs. J’aime son choix de ne pas se concentrer sur les conflits qui existent bien évidemment mais de montrer le plus beau côté de la danse à travers le chemin vers la reconstruction de son héroïne blessée, tout le travail sur le corps que cela implique et l’énergie que cela procure. »
L'histoire solaire d'une renaissance
Cédric Klapisch voulait qu’il y ait un côté très visuel et même grand spectacle. « Je n’avais pas trop envie d’être uniquement contraint par la narration. J’ai parlé très tôt du projet avec le chef opérateur Alexis Kavyrchine pour trouver une cohérence visuelle au film avant même de finir le scénario. Je retiens plus l’idée de passion que l’idée de sacerdoce. On ne peut pas être danseur sans être tourné vers la vie. Danser, c’est un avant tout un des plaisirs de la vie. L’histoire d’EN CORPS repose sur une idée de reconstruction et de renaissance, avec l’envie qu’il y a une nécessité à aller vers quelque chose de positif et solaire quels que soient les efforts pour y parvenir. Je pourrais dire bêtement que c’est un film sur la vie. Un film sur le profond plaisir de celui qui danse et qui a cette idée de s’élever, de se dépasser. Et derrière tout cela, il y a aussi le profond plaisir du spectateur qui admire ce spectacle. »
Les autres atouts d’EN CORPS sont les comédiens, tous exceptionnels. François Civil, Pio Marmaï et Souheila Yacoub apportent une fantaisie vivifiante au film. Muriel Robin interprète Josiane, une femme pleine de bonté et de positivité, qualités qu’on retrouve souvent chez les gens qui souffrent : elle a une blessure qui la force à marcher avec une canne, un handicap qui la rapproche d’Élise. Toutes les deux se ressemblent : elles sont vulnérables mais souhaitent trouver une façon de guérir pour aimer, aider et vivre. Enfin Denis Podalydès, Henri le père d’Elise, est un avocat attachant par son côté distrait, sa difficulté à dire et à montrer qu’il aime ses enfants, malgré l’inattention et la maladresse.
La force tranquille du cinéma de Cédric Klapisch est de dire des choses fondamentales avec bienveillance et humour, et de le faire avec un sens du partage, une force d’âme et une euphorie communicatives. Cela fait trente ans que ça dure. Bravo !
Raphaël Moretto