Aujourd’hui, endosser le statut de héros est devenu une nécessité pour de nombreux Ukrainiens, jeunes gens, pères ou mères de famille. Et ce, au prix de sacrifices multiples. Au prix d’un dénuement quasi total. Au prix bien sûr de leur vie – confrontés qu’ils sont à d’effroyables combats urbains face à l’envahisseur russe.
L’expression « seuls contre tous » prend ici toute sa dimension dramatique. Des villes assiégées ou prises par l’ennemi telles Kiev, Kherson ou Kharkiv ou encore Marioupol sont en état de « survivance absolue » : les scènes de guerre qui s’y déroulent font la « une » des flashs spéciaux et JT de l’Occident ; une pluie de bombes à fragmentation se serait abattue sur des quartiers entiers… Pourtant au début des menaces lancées par Poutine, rien de tel ne semblait plus improbable à une Europe qui se sentait « bien au chaud ». Alors, est-ce oui ou non raisonnable de se satisfaire de l’attitude en retrait de l’Otan, de l’empathie de très nombreux civils européens, de l’envoi de vivres, voire de fournitures d’armement ? Question difficile, douloureuse, insoluble, tandis que l’UE assiste médusée au don et dépassement de soi, à l’amour de la patrie et de l’indépendance des Ukrainiens. En France, il y a encore peu, l’héroïsme était suspect … On se souvient du tollé suscité par le président Nicolas Sarkozy, lorsqu’il avait annoncé en 2007 sa décision de faire lire, dans toutes les classes du pays, la lettre à ses parents du jeune résistant communiste Guy Môquet tombé sous les tirs allemands avec 27 autres résistants. A l’époque la chose avait été jugée incongrue, inappropriée par la Gauche et certains enseignants… Aujourd’hui, face à la situation en Ukraine, l’Europe se trouve concernée par l’invasion russe et touchée au cœur par la lutte à la vie et à la mort de ce peuple, ainsi que de son président Volodymyr Zelensky (1). Celui-ci a déclenché une prise de conscience générale jusque dans les cercles culturels, les milieux sportifs, et parmi des Russes qui s’opposent à Poutine avec un courage insensé. Le Président ukrainien force ainsi le respect, lui, qui remplit pleinement le rôle de chef de guerre, sans y avoir été préparé. Son attitude, sa révolte, celle de ses compatriotes agitent, tels des perturbateurs endocriniens, nos consciences naïves et amollies, mettant le doigt là où ça fait mal : l’impuissance occidentale.
Nous sommes pris entre marteau et faucille… Certes, nous et les USA avons choisi de nous battre contre le Président Poutine ainsi que les oligarques sur le terrain de l’économie. Mais, jusqu’à quel point compter sur une non-intervention de la Chine afin de rendre totalement efficace le blocus installé pour verrouiller les systèmes bancaires, fiduciaires, la Banque Centrale Russe ou encore les circuits industriels ? Jusqu’où sommes-nous prêts à nous engager ? Comment se défendre sans déclencher une escalade plus meurtrière encore ? Dans son tout récent message, Le Président Macron souhaite à nouveau mettre en place une défense supra-nationale de l’UE, afin de maintenir à distance la Russie. Rien n’est moins acquis, même si l’Allemagne entend se réarmer : parmi les 27 membres, nombreux sont ceux à préférer s’en remettre aux forces armées US. L’Europe prend comme un coup de poing dans la figure la prise et l’incendie de la centrale de Zaporizhzhia qui rend tangible le risque nucléaire que nous encourrons. Le Président Macron ouvre sa campagne électorale en affirmant nous protéger des griffes de Vladimir Poutine. N’est-il pas en train de vendre la peau de … l’ours russe avant de l’avoir abattu ?
Marie-France Poirier
(1) L’Ukraine se bat pour vivre en démocratie et à l’abri d’un dictateur sanglant mis en place par Moscou, à l’instar d’un Raman Kadyrov en Tchétchénie.