Au bonheur des drames

Pour bien commencer l’année 2022, nous vous offrons un conseil cinéma, cinq piqûres de rappel en vidéo, et une BO en vinyle ! 7 drames aux tonalités originales et à l’interprétation toujours parfaite.

1/ MADELEINE COLLINS, suspense dramatique et labyrinthique d’Antoine Barraud. Judith, traductrice pour des institutions internationales, mène une double vie entre la Suisse et la France. D’un côté Abdel, avec qui elle élève une petite fille, de l’autre Melvil, chef d’orchestre reconnu, avec qui elle a deux garçons plus âgés. Peu à peu, cet équilibre fragile fait de mensonges, de secrets et d’allers-retours se fissure dangereusement. Prise au piège, comment Judith va-t-elle se sortir de cette spirale effrénée ? Ce film pourrait être la déclinaison dramatique d’ATTENTION UNE FEMME PEUT EN CACHER UNE AUTRE (1983) de Georges Lautner. L’étincelante Miou-Miou cède sa place à l’ensorcelante Virginie Efira, qui à la lisière du fantastique, change de peau de scène en scène, dans une dramaturgie vertigineuse qu’il serait un peu trop facile de qualifier d’hitchcockienne. Pourtant … La première scène, tragique et mystérieuse, vous hante tout au long du film, jusqu’à son dénouement magistral, donnant également la clé du titre. La blonde Efira a encore frappé dans un rôle démesuré à la hauteur de son talent immense. Les seconds rôles sont tout aussi formidables : Bruno Salomone, Quim Gutierrez mais aussi Jacqueline Bisset et Valérie Donzelli. Vous comprendrez également pourquoi MADELEINE COLLINS a eu le prix Sopadin du jury du meilleur scénario.

2/ Autre labyrinthe mental, THE FATHER, drame familial du toujours surprenant Florian Zeller Du théâtre au cinéma, Florian Zeller est passé avec la même facilité qui a accompagné ses débuts de dramaturge, faisant de chacune de ses pièces un succès public. Adapté de l’une d’entre elles, Le Père, et tourné en anglais, son premier film est récompensé par deux Oscars, l’un pour son scénario, l’autre pour la performance du grand Anthony Hopkins. Un tour de force si l’on s’en tient à son sujet, un vieil homme sombrant dans la démence, et à son unique décor, celui d’un vaste appartement londonien. Mais Florian Zeller sait créer des mécaniques diaboliques, entraînant le spectateur dans le cerveau de son personnage, à la façon d’un puzzle auquel il manquerait toujours une pièce pour en comprendre la cohérence. En VOD, DVD et Blu-ray chez Orange Twin.

3/ Tout aussi cérébral, le TITANE horrifique de Julia Ducournau. Elle est la première femme à décrocher seule une palme d’or à Cannes, et qui plus est avec un film de genre : double performance historique ! Fini l’époque où la « French frayeur » ne s’adressait qu’à un public restreint. Ducournau réussit avec Titane à créer un lien corporel entre son spectateur et le personnage d’Alexia, tueuse en série victime d’un terrible accident de voiture durant l’enfance, et contrainte d’emprunter l’identité d’un jeune garçon disparu pour échapper à la police. Histoire d’amour, de morts et de renaissance entre deux cabossés de la vie dans un style très personnel ! Bravo à la réalisatrice qui confirme après Grave et à son interprète principale Agathe Roussel ; bravo également à Vincent Lindon, Ruben Impens (chef opérateur) et Jim Williams (compositeur) pour ce Titane qui transcende totalement le genre, les genres. En VOD, DVD et Blu-ray chez Diaphana.

4/ Autre film de genre, faisant preuve de courage en regardant en face les territoires perdus de la République, BAC NORD, drame policier de Cédric Jimenez. Inspiré d’une histoire vraie qui a secoué la BAC de Marseille en 2012, le film est porté par un trio d’acteurs stupéfiant – Gilles Lellouche, François Civil, Karim Leclou – accompagné par les convaincantes Adèle Exarchopoulos et Kenza Fortas. On passe du western urbain musclé, nerveux et rythmé au drame personnel intimiste et à la réflexion sur un régime à bout de souffle. Bac Nord n’est pas un film pro-flics, le système en prend pour son grade. Il n’est pas non plus qu’un simple film d’action spectaculaire : plus qu’un voyage, c’est une immersion. Jimenez et sa scénariste Audrey Diwan prennent clairement parti pour les hommes de terrain, abandonnés par une hiérarchie sans moyens, totalement dépassée par les évènements. L’équivalent policier des MISERABLES de Ladj Ly, avec une séquence oppressante de descente dans la cité. En VOD, DVD et Blu-ray chez Studio Canal.

5/ Autre abandon total, celui de BENEDETTA, le personnage du drame historique de Paul Verhoeven. Sagit-il d’une farce anticléricale ineffable ou d’une daube érotique monumentale ? Le dernier opus du plus francophile des cinéastes néerlandais a divisé le public. Virginie Efira (oui, encore et toujours elle) retrouve le réalisateur iconoclaste avec lequel elle avait déjà tourné Elle, et s’octroie ici le rôle en or d’une nonne lesbienne découvrant le plaisir dans les bras de la troublante Daphné Patakia. Verhoeven sert admirablement ses obsessions personnelles dans cette histoire fiévreuse, mystique et charnelle. Un beau jeu de massacre ultra-satirique qui n’exclut en rien les moments poétiques et apaisés. En VOD, DVD et Blu-ray chez Pathé Distribution.

6/ Tout aussi fiévreux, le drame musical ANNETTE de Léos Carax. C’est le retour de l’ex-enfant terrible du cinéma français : « enfant terrible » à une époque où le triumvirat Besson-Beinex-Carax dynamitait les codes d’un septième art hexagonal qui s’était endormi pendant le septennat d’un accordéoniste endiamanté. Quarante ans après son grand prix pour le court-métrage Strangulation Blues, Carax nous livre un opéra rock étonnant, qui décrit les coulisses poisseuses du monde du spectacle, sans oublier d’en glorifier (alléluia !) les artistes qui en jaillissent. Le réalisateur de Mauvais Sang se met au service du mythique groupe californien Sparks pour signer un film rare et dark, grand moment d’émotion lors du dernier Festival de Cannes, et ce dès l’ouverture. En VOD, DVD et Blu-ray chez UGC Vidéo.

7/ Musical et sentimental également, LES OLYMPIADES, le dernier drame amoureux de Jacques Audiard. Les quatre personnages principaux de ce chassé-croisé lascif et langoureux, sont des trentenaires expérimentés, qui vont se rencontrer et s’aimer. Ils ont tous une existence sociale et se sont déjà heurté à la difficulté de trouver un logement, un travail. Ils traversent en même temps une crise de vocation professionnelle et sentimentale. Pour mettre en musique ce renouveau du discours amoureux, le grand Rone signe la bande son des OLYMPIADES. La partition aérienne aux résonances électroniques urbaines illustre un monde moderne et connecté, avec quelques sonorités organiques comme le violoncelle et le piano. Une BO originale pour un film inattendu du plus grand de nos cinéastes, disponible chez InFiné en CD ou Vinyle. Disponible en vidéo à partir du 15 mars chez Memento Films.

Bonnes séances à vous, et vive le cinéma !

Raphaël Moretto