« Y m’a filé une beigne
La justice lui a filé une torgnole »
(Plagiat de la chanson de Renaud)
Comment ça, il a morflé Dimitri Payet ? Mais mon pauvre ami, vous n’étiez pas devant votre télé écran XXL pour zieuter le match houleux Nice-OM en août dernier ? Le parquet a requis contre l’un des fauteurs de troubles, le supporteur niçois Tony C, cinq ans d’interdiction de paraître dans un stade assortis d’un an de prison dont six mois fermes. Son forfait ? Etre l’auteur d’un coup de pied à l’encontre de l’international Dimitri Payet. Cette mise en jambe – rien de nouveau certes, mais la situation s’aggrave crescendo – s’est avérée être le prélude à d’autres débordements très récents et tout aussi violents, tels les matchs Angers-OM ou Montpellier-Bordeaux. La rencontre Lens-Lille mi-septembre a été de ce même tonneau avec l’envahissement des spectateurs, 30 minutes durant. Jean-Michel Blanquer et Gérard Darmanin ont affiché la prétention de se camper en arbitres. En vain ! Les terrains de foot n’ont plus rien à envier aux quartiers qualifiés hypocritement de « sensibles». Faute de fiabilité des interventions humaines, ne serait-il pas plus efficace d’invoquer Saint Sébastien, le patron vedette du sport ?
C’est dire si les classiques du cinéma – « Les Tontons flingueurs », « A Mort l’Arbitre », « Les 400 coups » ou « La Gifle » si délicieusement vintage – apparaissent aujourd’hui comme de gentils amuse-gueule ! La brutalité, la baffe musclée, la castagne font régulièrement la « une » de l’actualité qu’elle soit sportive ou concerne la politique… Et propulsent en haut de l’affiche de bien tristes sires ! C’est d’ailleurs une gifle qui a rendu « célèbre » Damien Tarel pour avoir joué les têtes à claques à l’encontre du Président de la République le 8 juin dernier à Tain-l’Hermitage. Il a écopé de quatre mois de prison ferme au centre pénitentiaire de Valence (avec en plus un sursis de 14 mois). Jugé en comparution immédiate, le voilà privé de droits civiques pendant trois ans. Il est de surcroit interdit d’exercer toute fonction publique à vie ou de détenir des armes … On aurait pu penser que la société allait l’oublier. Que nenni ! A peine sorti de tôle, il a été invité à l’émission « Touche pas à mon poste ». Et ce jeune homme de 28 ans, actuellement selon ses termes « en reconversion professionnelle », d’affirmer illico presto n’avoir « aucun regret » quant à son geste. « C’est juste une gifle », a-t-il répondu à Cyril Hanouna. Une question comme ça en passant, mais à qui profite le crime ?
Et Tony C – ce supporter niçois dont les hautes autorités du foot entendent faire un exemple – sera-t-il, lui aussi, sur tous les plateaux TV, une fois accompli son temps d’incarcération ? Au regard d’une justice distendue et de la vulgarité ambiante, quel est le poids de chacun ? Qui possède encore un statut emblématique ? Qui inspire le respect ? Un Président de la République ? Un international de l’OM ?
Qu’elle soit désignée du vocable de « claque/baffe/ tarte/ beigne/ torgnole/ raclée/ mandale/calotte/taloche/mornifle », la gifle des temps modernes agit à la vitesse du son, rendant un écho démultiplié ainsi qu’immoral sur les réseaux sociaux. Imaginons que, jadis, un manant en vînt à souffleter un aristocrate. Immanquablement le geste prenait valeur d’affaire d’Etat : il était interprété comme une remise en cause non seulement de l’individu outragé, mais de la caste à laquelle il appartenait et par conséquent du pouvoir royal. Mutatis mutandis, la multiplication des coups de butoir actuels à l’ordre public –tant sur les terrains de foot que dans l’arène politique- devrait alerter sur l’état de délabrement de la justice, sur la porosité de l’édifice étatique, tout comme sur les codes d’une société en chute libre. Doit-on se satisfaire d’une époque qui joue à saute-mouton sur ces failles sismiques ?
Marie-France Poirier