Bonjour Cousin
J’espère que tu vas bien. Je profite du confinement pour relire Plumons l’oiseau ! Ce
merveilleux opuscule d’Hervé Bazin où l’éminent professeur Alexis Patagos fustige les multiples réformes de l’orthographe française et, chemin faisant, revisite nos signes de
ponctuation. Si tu me demandes pourquoi, pas de souci, je vais te l’expliquer… L’auteur
se permet, avec beaucoup de sagacité, de compléter l’arsenal usuel des ponctèmes :
– avec le point d’acclamation: « Pas de souci, je suis un grand Président »
– avec le point d’amour: « Pas de souci, j’aime le fric »
– avec le point d’ironie : « Du caviar pour Brice, mais pas de sushis »
– avec le point de doute : « Pas de souci, on va rouvrir les bars et les restaurants, aujourd’hui peut-être ou alors demain »
– avec le point d’autorité balladurien : « Même si je n’ai pas de vaccins, pas de souci,
je vous demande d’arrêter de critiquer ma stratégie »
– avec le point de certitude : « De toute façon, pas de souci, les retraités sont des inutiles »
Manque peut-être à cette liste le point d’indignation très gaullien : « Bien entendu, on
peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant “l’Europe l’Europe l’Europe ”».
Dès lors, je me souviens de mes cours de latin au lycée Carnot et il me souvient qu’un professeur nous expliqua que les Romains ne connaissaient pas la ponctuation; « mais, pas de souci, nous dit-il, ils utilisaient nombres de mots de liaison pour marquer le
rythme des segments de phrase comme on le fait aujourd’hui avec la virgule ou le point : at, aut, enim, etiam, nam, tamen, etc. Ce procédé avait l’avantage d’être perceptible aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. La ponctuation joue un rôle important pour nuancer le sens des phrases, c’est une sorte de didascalie orthographique qui guide l’intonation de l’orateur.
Jusqu’ici, pas de souci, tu me suis ! Tout cela pour te dire que j’ai bien du mal à supporter la médiocratie médiatique et politique qui ponctue toutes ses réponses par le syntagme « pas de souci ! ». Ce sont les mêmes qui remplacent « choix » par « alternative » et « important » par « conséquent » à tout bout de champ : « Quand on dépense des sommes « conséquentes », on finit par avoir des problèmes « pécuniers » ! »…
– « Tu aimes le confinement ? »
– « Pas de souci j’adore ça »
– « Nous pouvons peut-être en profiter pour… »
– « Pas de soucis j’enlève mon… masque »
– « En attendant la réouverture des cinémas, tu veux revoir un film de Romy Schneider ? »
– « Ah non ! Pas de Sissi »
Alceste