Israël Cemachovic : « L’antisémitisme qui tue, c’est en France et pas ailleurs en Europe ! »

La décision de la Cour de cassation, qui a confirmé le 14 avril dernier l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi a provoqué une vive émotion dans la communauté juive d’autant que le caractère antisémite du crime avait été retenu par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris. Israël Cemachovic, président de l’association cultuelle israélite de Dijon, revient sur cette décision qui a créé beaucoup d’incompréhension dans l’opinion publique.

Dijon l’Hebdo : Des manifestations ont été organisées dans plusieurs villes de France contre le verdict de la Cour de cassation dans l’affaire Sarah Halimi, cette retraitée parisienne de confession juive tuée à Paris en 2017, qui a validé l’irresponsabilité pénale du meurtrier malgré le caractère antisémite de son acte. C’était le cas à Dijon ?
Israël Cemachovic :
« Oui et cette manifestation nous a permis de traduire notre inquiétude. La communauté juive est perplexe devant le fait que la Cour de cassation a reconnu l’acte d’antisémitisme tout en privilégiant la thèse de la folie, certes indéniable d’après les experts. De fait, on a ainsi évacué tout le problème de l’antisémitisme qui favorise le passage à l’acte chez certains. L’antisémitisme n’est pas une simple forme de racisme : il contient en soi une notion génocidaire. Pour faire simple, on veut toujours quelque part « tuer du juif » et pas seulement au sens figuré comme on l’a déjà vu si souvent par le passé.
Les Juifs représentent en France 1% de la population mais ils subissent plus de 30 % des agressions à caractère raciste dans le pays. On voit bien la disproportion et cette volonté d’en découdre physiquement avec des Juifs. Trop souvent, c’est le facteur « déséquilibre mental » qui est retenu chez les agresseurs alors que l’antisémitisme est bien présent en toile de fond.


DLH : Jusqu’au sommet de l’État, chacun s’accorde sur l’impérieuse nécessité de changer la loi. Ce qui laisse perplexe les magistrats qui, au travers du Conseil supérieur de la magistrature, appellent « à la mesure » et au respect de l’indépendance de la justice. Comment la communauté que vous représentez juge-t-elle cette attitude ?
I. C :
« Il n’est pas question d’influer sur le droit français ou le droit international qui ont décidé depuis très longtemps qu’on « ne juge pas un fou ». Mais, pour autant, il ne faut pas écarter si facilement l’antisémitisme. Quand un Juif est attaqué, cela ne relève pas du hasard (sauf exception bien entendu) : c’est parce qu’on en veut aux Juifs. On voit bien que la haine est souvent sous-jacente. Le meurtrier de Sarah Halimi a bel et bien choisi sa victime. Ce n’est pas un voisin d’origine africaine qu’il a tué mais une femme juive qu’il n’a cessé d’insulter dans les semaines qui ont précédé le drame. Je veux bien entendre que le meurtrier a perdu son discernement à ce moment-là mais il y avait bien un terrain que je qualifie de « favorable » à l’agression. Il y avait d’autres questions que les avocats de la communauté juive auraient aimé poser : pourquoi la police est-elle restée derrière la porte de Sarah Halimi pendant une heure malgré les cris de souffrance qu’elle entendait dans l’appartement ? Etait-ce sur recommandation du RAID dont on attendait l’intervention qui n’est pas arrivée à temps ? Si la loi doit être changée, nous aimerions que le coupable, même s’il est reconnu fou, vienne s’exprimer devant les juges et, peut-être, tenter d’expliquer pourquoi il en voulait aux Juifs. L’escamotage du procès provoque une frustration immense pour la famille et la communauté juive. C’est encore une fois un cas d’antisémitisme flagrant et violent qui est « poussé sous le tapis ».


DLH : Ne faut-il pas y voir là un vieux et tragique contentieux entre la communauté juive française et la justice : celui de l’incapacité des autorités françaises à prendre la mesure des discriminations dont est victime la population juive de France ?
I. C :
« Il faut bien comprendre que nous n’avons rien contre les juges. Nous avons davantage affaire à un problème sociétal et politique que juridique. Je voudrais mettre en avant un problème qu’on rencontre dans la société française : après l’attentat contre « Charlie Hebdo », des millions de personnes sont descendues dans la rue. Combien étaient-elles après l’assassinat à bout portant des enfants de l’école juive de Toulouse ? Personne… Aucune manifestation pour soutenir la communauté même si toute la France a été émue et choquée par cette attaque… Il est normal que l’on se pose des questions. De plus, il n’y a qu’en France que de telles atrocités se produisent. L’antisémitisme qui tue, c’est en France et pas ailleurs en Europe ! ».


DLH : Soutenez-vous la sœur de Sarah Halimi qui veut passer par Israël pour contester une décision de la plus haute juridiction française ?
I. C :
« C’est une aberration totale. S’il y avait bien une chose à ne pas faire, c’était celle-là. L’Etat d’Israël n’a rien à voir là dedans. Déjà qu’on accuse les Juifs de double allégeance. C’est un problème franco-français entre les citoyens français, de confession juive ou non, la Justice et les femmes et les hommes politiques ».


DLH : En France, 541 agressions antisémites ont été recensées en 2018 et 687 en 2019, selon les chiffres du Service de protection de la communauté juive. Comment expliquez-vous que ces drames se multiplient encore en France ?
I. C :
« Ce sont très souvent des agressions perpétrées par des islamistes fanatisés, radicalisés dans leur haine à l’égard des juifs à partir de ce qu’ils peuvent trouver sur internet ou qu’ils entendent peut-être dans quelques (rares) mosquées. Le passage à l’acte chez ces gens perturbés est, dès lors, d’autant plus facile. Il y a un vrai travail de fond à réaliser au sein de l’islam. Nous sommes prêts à réfléchir avec les musulmans pour les aider à surmonter ces situations qui jettent le discrédit sur leur propre religion. La religion juive ne préconise par exemple plus les lapidations : elle a réussi à dépasser certains textes bibliques qui n’ont plus lieu d’exister à notre époque ».


DLH : Quelles seraient les décisions les plus adaptées pour y faire face ?
I. C :
« D’abord je ne veux pas remettre en cause le fait qu’on ne « juge pas les fous » mais je serais favorable à une nouvelle forme de justice expiatoire avec la création d’une sorte d’audience judiciaire à caractère purement informatif et non pénal, qui obligerait l’auteur des faits à caractère raciste ou antisémite à venir quand même devant les juges, les avocats et la famille des victimes pour tenter d’expliquer son geste, et expliquer notamment pourquoi, par exemple, il n’aime pas les Juifs… C’est, croyez moi, un geste très important pour les proches des victimes et l’ensemble de la communauté. Ensuite, d’une manière plus générale, c’est incontestablement l’éducation républicaine qui reste la meilleure arme contre le racisme et l’antisémitisme ».

Propos recueillis par Jean-Louis Pierre